On dit volontiers que certains événements forts de la vie sont restés gravés dans la mémoire. D'autres fois, des situations stressantes sont oubliées. Un début de compréhension de ce phénomène est proposé par des chercheurs britanniques et allemands dans les « Proceedings of the National Academy of Sciences ». B.A. Strange, R. Hurlemann et R.J. Dolan suggèrent qu'il existe une amnésie des événements précédant une émotion. Cet oubli est sous la dépendance de la transmission bêta-adrénergique en relation avec l'amygdale.
Pour comprendre ce phénomène l'équipe de scientifiques a mis au point un protocole d'explorations de la mémoire. Il a été mené auprès de 46 volontaires britanniques, droitiers, et de 12 volontaires allemands, droitiers, atteints d'une lésion bilatérale de l'amygdale. Les participants ont lu des listes de mots assez brèves, projetées à raison d'une seconde par nom, toutes les trois secondes. Les termes choisis étaient émotionnellement neutres, mais avec une relation sémantique entre eux. Au milieu de ces listes étaient parsemés des « intrus émotionnels » (E). C'est-à-dire des mots provoquant une aversion, comme : hurlement, crime, morgue... Trente secondes après, les expérimentateurs demandaient aux sujets de citer les mots dont ils se souvenaient. Une autre liste était ensuite proposée. A la fin des différentes exercices, les résultats ont été analysés en bloc.
Six secondes ou deux mots
Il apparaît que les deux mots précédant l'intrus émotionnel (E-1 et E-2) sont oubliés avec une fréquence significative. L'amnésie porte sur les six secondes ou ces deux mots. Le phénomène, sans être expliqué, est plus prononcé (doublé) chez les femmes que chez les hommes. Dans un éditorial, Larry Cahill (Irvine, Californie) rappelle que ce constat « s'ajoute à un ensemble de découvertes, en plein essor, suggérant que le sexe influe substantiellement sur les mécanismes neurologiques de la mémorisation influencée par les émotions ».
Une procédure de contrôle avait été introduite. En plus de l'intrus émotionnel, les listes comprenaient des intrus dits de perception (un mot neutre écrit dans une autre police de caractère) ou sémantiques (mot neutre, mais indépendant sémantiquement de ceux de la liste). Ces intrus, sans charge affective, n'influent pas sur la mémorisation des mots E-1 et E-2. De quoi consolider la validité du résultat.
Pour confirmer la place de la transmission cérébrale adrénergique et de l'amygdale les scientifiques ont procédé à deux autres séries de tests. La transmission bêta-adrénergique étant bloquée par le propranolol, certains sujets ont reçu cette molécule avant de réaliser une nouvelle série de lecture de mots ; d'autres, sous placebo servant de témoin. Même épreuve de lecture-mémorisation (sans médicament) chez les patients allemands atteints d'un dysfonctionnement de l'amygdale (maladie d'Urbach-Wiethe), comparés à des témoins sains.
Propranolol et lésion de l'amygdale
Dans les deux situations les chercheurs ont obtenu des résultats similaires. Le blocage bêta-adrénergique et la lésion amygdalienne inversent les résultats de la première série de tests. Ils suppriment la mémorisation renforcée des intrus émotionnels et l'amnésie du mot le précédant (deux mots sous propranolol). Chez les témoins, en revanche, plus l'intrus était mémorisé fréquemment, plus les mots E-1 et E-2 étaient oubliés. Le propranolol et la lésion de l'amygdale éliminent ce couplage.
En ce qui concerne le mot suivant l'intrus émotionnel (E+1), sa mémorisation n'a été altérée dans aucune des expérimentations.
« Nos données suggèrent que le même niveau d'activation adrénergique peut produire une amélioration ou une altération de la mémoire, selon le moment de son activation. La mémoire est majorée si la stimulation adrénergique survient au moment du codage, mais elle est affaiblie si elle survient de trois à six secondes après le codage initial. Une réponse hormonale adrénergique serait trop "molle" pour médier les effets observés. Les accroissements de la mémoire induits par une émotion ne requièrent pas une implication adrénergique périphérique et nous suggérons que les effets mnésiques émotionnels sont liés à une libération adrénergique centrale d'élévation rapide, médiée par l'amygdale. »
« Proc Natl Acad Sci USA », à paraître sur pnas.org.
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