PRATIQUE
Douleurs articulaires
Un homme de 51 ans (expert-comptable et enseignant en logistique) vous consulte pour des douleurs articulaires de tonalité inflammatoire qui, dans un premier temps, concernaient les pieds et, depuis peu, touchent les mains. Ces douleurs prédominent la nuit et s'accompagnent d'une rougeur locale, la douleur est parfois qualifiée de terrible par le patient. Il n'y a pas de synovite évidente. L'importance de la douleur et le handicap quotidien, entravant considérablement l'activité professionnelle, l'amenaient rapidement à une automédication avec une efficacité spectaculaire de l'aspirine prise à la dose de 2 à 3 g/jour. Le patient a même remarqué que la seule prise d'un comprimé d'AINS apporte un soulagement qui peut durer de deux à trois jours. Le seul antécédent notable est un pneumothorax il y a une vingtaine d'année. Vous instituez un traitement AINS au long cours et prévoyez un bilan biologique complémentaire : VS 2 mm à la 1re heure, CRP 3 mg/l, fibrinogène 3,2 g/l ; numération formule : hémoglobine 15,3 g/dl, globules blancs 11 500/mm3, plaquettes 414 000/mm3, uricémie 72 mg/l, ferritinémie 400 ng/ml (normale 20-300), facteur rhumatoïde négatif, électrophorèse des protéines normale.
Vous remarquez une lésion cutanée du flanc droit (Fig. 1) apparue depuis quelques mois. Cette lésion est non douloureuse et non prurigineuse ; vous faites réaliser une biopsie cutanée qui évoque la possibilité d'une collagénose, les capillaires apparaissent un peu trop bien visibles sur une paroi à peine épaissie, il semble exister parfois des microthrombi fibrineux. La survenue d'épigastralgies vous incite à prescrire un anti-Cox2 qui paraît mieux toléré au plan digestif mais totalement inefficace sur la symptomatologie clinique.
Question 1 : Devant une symptomatologie articulaire d'allure inflammatoire survenant dans une telle situation clinique, vous pensez utile de demander les examens suivants :
a) anticorps antinucléaires ;
b) fer sérique et coefficient de saturation de la sidérophiline ;
c) anticorps antifilaggrine ;
d) radiographies des mains, des pieds et des genoux ;
e) biopsie d'artère temporale.
Réponse : a-b-c-d
Un tableau articulaire inflammatoire évoluant depuis plus de six mois chez un patient de 50 ans doit faire rechercher un rhumatisme à microcristaux et donc amener à doser l'uricémie, à faire des radiographies, notamment des poignets et des genoux, à la recherche de calcifications méniscales, ou du ligament triangulaire du carpe dans l'hypothèse d'une chondrocalcinose.
Un lupus érythémateux systémique est possible et les anticorps antinucléaires doivent être demandés. Une polyarthrite rhumatoïde peut se présenter initialement sans synovite patente, le facteur rhumatoïde peut être absent au cours des six premiers mois d'évolution de la maladie, les anticorps antifilaggrine sont moins sensibles mais beaucoup plus spécifiques du diagnostic.
Les dosages du fer sérique et du coefficient de saturation vont permettre de dépister une éventuelle hémochromatose si le coefficient de saturation est > 50 % avec une élévation du fer sérique. La biopsie d'artère temporale n'est utile que si le tableau clinique évoque une maladie de Horton qui est peu probable ici, du fait du jeune âge du patient et du caractère périphérique de la symptomatologie et articulaire.
Les anticorps antinucléaires sont normaux, le fer sérique et le coefficient de saturation de la sidérophiline sont aussi normaux (89 mg/100 ml et 29 % respectivement), ainsi que les radiographies de mains, pieds et genoux. Il n'a pas été retrouvé d'anticorps antifilaggrine.
Question 2 : Devant l'échec des anti-Cox2 et l'apparition de nouvelles lésions cutanées sur les cuisses et les pieds, vous êtes amené à refaire préciser par le patient les caractères sémiologiques de la douleur dont il souffre. Cela vous fait évoquer l'hypothèse d'une érythermalgie. Sont en faveur d'une érythermalgie les signes suivants :
a) déclenchement des crises par le froid ;
b) douleurs à type de brûlures ou de broiements ;
c) rougeur des territoires cutanés pendant la crise douloureuse ;
d) déclenchement de la crise par la chaleur ;
e) sensibilité des symptômes à l'aspirine.
Réponse : b-c-d-e
Les critères diagnostiques d'érythermalgie sont résumés dans l'encadré 1.
La sensibilité particulière de la douleur à l'aspirine et aux AINS avec un soulagement qui peut durer pendant plusieurs jours est un élément particulièrement évocateur d'érythermalgie. Les anti-Cox2 qui n'interagissent pas sur l'agrégation plaquettaire sont ici totalement inefficaces, et ce contraste pouvait mettre la puce à l'oreille.
Question 3 : Vous faites une numération formule de contrôle qui montre les résultats suivants : hémoglobine 15,2 g/dl, globules blancs 11 800/mm3, plaquettes 714 000/mm3. Quel est votre diagnostic ?
a) thrombocytose réactionnelle au phénomène inflammatoire ;
b) syndrome lymphoprolifératif ;
c) lupus érythémateux systémique séronégatif ;
d) vascularite systémique ;
e) « hot and burn syndrom ».
Réponse : b
La présence d'une érythermalgie associée aux lésions cutanées évocatrices de livedo avec une réaction thrombocytaire sans syndrome inflammatoire mène sur la piste d'une thrombocytémie essentielle. Les érythermalgies ont des causes multiples rappelées dans l'encadré 2. La biopsie ostéomédullaire confirme l'hypothèse d'un syndrome myéloprolifératif montrant une hyperplasie simple des trois lignées myéloïdes sans fibrose, cette hyperplasie prédominant sur les lignées mégacaryocytaires.
Les syndromes myéloprolifératifs, principalement la maladie de Vaquez et la thrombocytémie essentielle, ont un risque accru d'événement thrombotique artériel ou veineux. Un épisode ischémique et artériel survient chez 24 des 43 % des patients, surtout ceux ayant des facteurs de risque cardio-vasculaire. Tous les territoires et tous les calibres vasculaires peuvent être concernés. L'atteinte du système microcirculatoire peut être à l'origine d'une érythermalgie, d'un phénomène de Raynaud, d'une acrocyanose, voire d'ischémie digitale avec gangrène, syndrome des orteils bleus, ulcérations cutanées, purpura nécrotique ou livedo comme dans l'observation présentée.
Le traitement par Hydréa a permis de contrôler rapidement le taux de plaquettes, l'aspirine à la dose de 160 mg/24 h suffit souvent à contrôler les crises d'érythermalgie.
Les critères
Critères majeurs
1) Evolution par crises paroxystiques.
2) Douleurs typiques (brûlures, morsures, broiements) siégeant aux extrémités (pieds et/ou mains).
3) Rougeur des territoires concernés pendant la crise.
Critères mineurs
1) Déclenchement des crises par la chaleur et/ou l'exercice et/ou l'orthostatisme.
2) Soulagement des douleurs par le froid et/ou le repos, et/ou l'élévation du membre atteint.
3) Augmentation de la chaleur locale pendant la crise.
4) Sensibilité des symptômes à l'aspirine.
Trois groupes
Erythermalgie des syndromes myéloprolifératifs
- thrombocytémie essentielle ;
- polyglobulie ;
- splénomégalie myéloïde chronique ;
- leucémie myéloïde chronique.
Erythermalgies secondaires
- lupus érythémateux systémique ;
- médicaments inducteurs (inhibiteurs calciques, bromocriptine, 5 fluoro-uracile, doxorubicine) ;
- polyarthrite rhumatoïde ;
- vascularites ;
- associations fortuites (?) : diabète, anémie de Biermer, hypertension artérielle, astrocytome, lichen, infection à poxvirus, infection des voies aériennes supérieures.
Erythermalgie primitive
- plus fréquente chez l'homme que chez la femme ;
- début avant 40 ans ;
- bilatérale et symétrique.
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