Second cancer primitif

Une double peine souvent évitable

Publié le 10/01/2014
Article réservé aux abonnés
Selon un rapport de l’INCa, près d’un patient sur sept atteint de cancer risque d’en développer un second. Un surisque réel mais souvent évitable comme le souligne le Pr Agnès Buzyn, présidente de l’INCa, qui insiste sur la place de la prévention tertiaire chez ces patients

Crédit photo : Gregoire Maisonneuve

?Le Généraliste. L’INCa vient de publier un rapport sur les risques de second cancer primitif chez l’adulte. Qu’est ce qui a motivé ce travail ?

Pr Agnès Buzyn. Ce travail était fait pour répondre à une opinion fréquente dans l’inconscient collectif selon laquelle des patients ayant eu un premier cancer sont plus à risque d’en développer un second à distance. Cette question des seconds cancers primitifs (ou SCP) revient souvent dans les interrogations des médecins et des familles et le rapport visait à préciser quelle est la réalité scientifique qui est derrière. Ce d’autant, qu’avec l’augmentation de l’incidence des cancers et l’amélioration de la survie, la population ayant un antécédent de cancer – et donc potentiellement à risque de SCP – s’accroît.

Quelle est la réalité du risque de second cancer ?

Pr A.B. Globalement le rapport est plutôt rassurant puisqu’il montre que pour la grande majorité des patients atteints d’un premier cancer, il n’y a aucun sur-risque de second cancer avec un risque relatif (RR) qui rejoint quasiment celui de la population générale. En revanche, pour 14% des patients, il existe un sur-risque avéré et important.

Quels sont ces patients à haut risque de SCP ?

Pr A.B. Le sur-risque de SCP dépend de plusieurs facteurs. Certains sont intrinsèques à l’individu, comme le fait de présenter une prédisposition génétique de cancers. D’autres sont liés à l’âge au diagnostic du premier cancer (RR multiplié par 6 en cas de cancer avant 18 ans), à sa localisation (risque accru pour les cancers des voies aérodigestives supérieures, de l’œsophage, du poumon et les lymphomes hodgkiniens en particulier), à certains schémas thérapeutiques (8% des SCP en rapport avec la radiothérapie) ou encore à la persistance de comportements à risque. Par exemple, pour certaines localisations liées à la consommation alcoolo-tabagique (cancers ORL, de l’œsophage, etc) le sur-risque est réel, surtout s’il n’y a pas de modification de comportement. On s’en doutait mais le rapport a le mérite de le confirmer.

D’où l’importance de la prévention tertiaire ?

Pr A.B. C’est un des messages forts du rapport?: tout patient atteint d’un cancer devrait bénéficier de la prévention tertiaire et être amené à cette occasion à modifier son comportement. Ce n’est pas parce que quelqu’un a un cancer qu’il faut oublier la prévention. Bien au contraire, les études montrent que les patients, au moment d’un diagnostic de cancer, sont plus réceptifs au message de prévention. C’est donc l’occasion ou jamais d’enclencher le processus et de prôner en premier lieu le sevrage tabagique pour tous les malades. Le sur-risque lié au tabac est réel pour 17 localisations. Or si l’on pense d’emblée au sevrage tabagique en cas de cancer du poumon, on a tendance à y attacher moins d’importance pour d’autres localisations.

Au delà de la prévention, le risque de second cancer impose aussi un suivi particulier ?

Pr A.B. Bien sûr. Or, actuellement, on se préoccupe finalement assez peu de ce sur-risque et on n’adapte pas forcément le suivi à long terme. Pourtant, dans certains cas, cela peut changer la donne. Par exemple, pour des femmes traitées par radiothérapie, les recommandations sur le dépistage du cancer du sein préconisent de ne pas faire de mammographie classique mais de les considérer comme des patientes à haut risque devant bénéficier d’un dépistage comme les femmes mutées BRCA1.Plus globalement, il y a des consignes de suivi spécifiques pour certaines localisations et nous sommes en train de les implémenter dans les recommandations de l’INCa.

Cela remet-il en cause la notion de guérison ?

Pr A.B. Absolument pas et l’on peut toujours considérer que, passé un certain cap, les patients sont définitivement guéris. Et si certains développeront peut être à long terme (suivi médian de 25 ans dans le rapport) un second cancer primitif, on n’est pas dans l’indentification de métastase ou de récidive mais bien dans le SCP tel que le définit l’OMS.

Le rapport de l’INCa repose sur des données anglo-saxonnes déjà anciennes. à quand des données françaises plus récentes?

Pr A.B. Nous sommes en train de refaire le même travail à partir des registres français du cancer et nous aurons des données courant 2014. Je pense que les risques relatifs observés seront probablement un peu plus faibles que ceux du rapport actuel car depuis 10 ou 15 ans un certain nombre de protocoles de traitement ont déjà fait l’objet d’une désescalade thérapeutique, de façon à minimiser le risque de SCP. Mais le message général de la prévention tertiaire, du moment où il faut l’enclencher, et d’un suivi adapté pour certaines localisations, persiste…

Propos recueillis par Bénédicte Gatin

Source : lequotidiendumedecin.fr