PRATIQUE
Fièvre et urticaire il y a trois mois
L'histoire de la maladie permet de retrouver trois mois auparavant un épisode fébrile important (supérieur à 39 °C), associé à une urticaire cutanée intense mais spontanément résolutive. L'interrogatoire fait ressortir l'immersion répétée des jambes dans l'eau douce des marigots du fait de l'activité professionnelle du patient. Depuis une dizaine de jours, la diarrhée est au premier plan : les selles sont fréquentes et molles, parfois glaireuses et sanguinolentes. Il s'associe quelquefois des épisodes de rectorragies.
Hépatomégalie
A l'examen clinique, on est en présence d'un sujet maigre (65 kg pour 1,80 m), chez qui la palpation abdominale met en évidence une hépatomégalie à bord non tranchant. Il n'y a pas d'autre anomalie somatique, notamment pas de splénomégalie, ni ascite, ni circulation collatérale. L'échographie abdominale confirme l'hépatomégalie homogène, les voies biliaires et le tronc porte sont sans anomalie. L'hémogramme est normal en dehors d'une hyperéosinophilie modérée (800 éosinophiles/mm3). Une rectosigmoïdoscopie montre une muqueuse hyperhémiée parsemée de petites granulations blanchâtres, saignant facilement au contact. L'examen parasitologique des selles est négatif.
Quel diagnostic évoquez-vous ?
La survenue d'un épisode diarrhéique avec glaires et sang dans les selles de manière transitoire, chez un sujet revenant de zones d'endémies parasitaires, doit faire évoquer de principe une parasitose intestinale. L'amibiase doit être systématiquement recherchée, mais lorsqu'une hyperéosinophilie est constatée on s'orientera préférentiellement vers une helminthiase. De nombreuses étiologies peuvent alors être retrouvées mais nécessitent une démarche diagnostique raisonnée, guidée par l'anamnèse, permettant d'identifier le parasite responsable de la symptomatologie, et d'éviter l'inflation d'examens paracliniques.
Examen des selles
La première étape diagnostique passe par un examen simple, non invasif, réalisable de préférence au laboratoire ou à défaut au domicile du patient : l'examen copro-parasitologique des selles. Les prélèvements seront faits avant traitement antiparasitaire sur des selles fraîchement émises. Une alimentation pauvre en résidus est souhaitable. La recherche des éléments parasitaires peut se faire directement à l'état frais, mais des techniques de concentration sont parfois nécessaires lorsque l'infection est peu intense. De nombreuses méthodes sont utilisées dans les laboratoires rompus à ces recherches.
Chez notre patient, compte tenu de l'anamnèse (immersion en eau douce en zone d'endémie bilharzienne, syndrome d'invasion parasitaire avec prurit et diarrhée), la méthode de concentration de Kato-Katz est une des plus pertinentes pour rechercher des ufs d'helminthes comme ceux des schistosomes qui sont trouvés préférentiellement à partir du raclage superficiel de la selle. Cet examen peut toutefois être pris en défaut en raison du caractère intermittent de l'émission des oeufs de schistosomes, qui doivent traverser la paroi vasculaire et celle du côlon avant d'être éliminés dans les selles ; un délai de quelques jours est alors nécessaire avant un nouvel examen.
Dans tous les cas, un résultat négatif ne doit pas faire réfuter le diagnostic suspecté par la clinique. On peut également, lorsque cela est possible, s'aider des sérologies parasitaires qui, quand elles sont positives, sont un bon argument. Mais il faut savoir qu'il existe de très nombreuses réactions croisées et que, négatives, elles n'éliminent pas un diagnostic.
Biopsie de la muqueuse rectale
En fait, le moyen diagnostique préférentiel est la biopsie de la muqueuse rectale, qui reste la méthode de recherche la plus sensible, supérieure à une série de trois analyses de selles. Réalisée sous contrôle de la vue au cours d'une rectoscopie, elle permet de faire un prélèvement au niveau des granulations ou en muqueuse saine en l'absence de lésion. Il est souhaitable de pratiquer trois biopsies, cette méthode élevant la sensibilité de la technique. Le prélèvement est ensuite examiné à l'état frais, après une légère dilacération, entre lame et lamelle. On peut éventuellement s'aider d'une coloration au Lugol double. Ainsi, chez notre malade, ont été mis en évidence de nombreux oeufs à éperon latéral, contenant un miracidium mobile, caractéristiques de Schistosoma mansoni.
Schistosoma mansoni
Cette variété de schistosomiase, agent de la bilharziose intestinale et hépato-splénique, touche actuellement cinquante-cinq pays, dont la péninsule arabique, l'Egypte, la Libye, le Soudan, la plupart des pays de l'Afrique subsaharienne, le Brésil, le Surinam, le Venezuela et certaines îles des Caraïbes. En Afrique, elle n'épargne que le Maghreb.
La gravité de cette affection est due à l'atteinte hépatique, secondaire à l'embolisation des oeufs de schistosomes dans les terminaisons du système porte intrahépatique. La réaction granulomateuse périovulaire qui en découle va entraîner à terme une fibrose cicatricielle périvasculaire concentrique dite en « tuyaux de pipe de Symmers », réalisant un bloc intrahépatique présinusoïdal responsable à terme d'une hypertension portale sévère avec ses conséquences hémorragiques souvent dramatiques par rupture de varices oesophagiennes. Si les manifestations cliniques de la maladie sont connues de longue date, le diagnostic et le retentissement précis de cette complication ont récemment bénéficié de l'apport de l'échographie.
Quel traitement proposer ?
Le traitement actuel de la schistosomiase à S. mansoni fait appel, comme pour les autres bilharzioses, au schistosomicide de référence qu'est le praziquantel (Biltricide), en prise unique à la dose de 40 mg/kg, crédité d'un certain effet favorable sur la fibrose hépatique.
Au stade d'hypertension portale sévère compliquant cette bilharziose hépatique, ce qui n'est pas le cas de la forme débutante de notre malade, une éradication perendoscopique des varices oesophagiennes par sclérose ou ligature peut être réalisée. En zone d'endémie, l'indication de réalisation d'une anastomose porto-cave est souvent le seul moyen de contrer les complications en l'absence de centres d'endoscopie digestive en nombre suffisant.
En attendant la mise en place effective de la vaccination, le dépistage et le traitement de tous les sujets infectés en zone d'endémie devraient faire reculer l'incidence de la bilharziose hépato-splénique, complication particulièrement grave de la schistosomiase à S. mansoni.
La vigilance à l'égard de l'immersion dans l'eau douce potentiellement contaminée doit être soulignée lors de la consultation préalable au voyage. En ce qui concerne les autochtones vivant en zone d'endémie, seule l'augmentation du niveau de vie induisant la réduction du péril fécal permettrait de juguler l'endémie.
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