Comme il l'avait annoncé dans nos colonnes (« le Quotidien » du 26 août), le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), a signé lundi soir avec les trois caisses nationales d'assurance-maladie un « relevé de conclusions » qui propose notamment au ministre de la Santé, à travers une « adaptation transitoire du règlement conventionnel minimal (RCM) pour les médecins spécialistes », de consacrer à ces derniers 156 millions d'euros supplémentaires (dont 137 millions financés par les régimes d'assurance-maladie obligatoire, le reste étant à la charge des complémentaires santé). En attendant la refonte complète de la nomenclature (classification commune des actes médicaux ou CCAM), le texte suggère à Jean-François Mattei de majorer de 2 euros, à compter du 1er septembre, les consultations des médecins spécialistes cliniciens de secteur I (1), et d'augmenter de 34,30 à 37 euros la tarification des actes des psychiatres, neuropsychiatres et neurologues de secteur I. En outre, ce texte propose de rembourser sous certaines conditions aux spécialistes le surcoût de leur prime d'assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP) et d'alléger sensiblement leurs cotisations sociales (voir encadré).
Après la rupture des négociations conventionnelles le 16 avril dernier, c'est un dénouement insolite à plusieurs égards. Tout d'abord, le Dr Chassang semble avoir opéré un large virage, puisqu'il signe aujourd'hui un texte avec l'assurance-maladie (CNAM), alors qu'il avait juré au printemps de rompre tout contact avec elle, préférant s'en remettre directement au ministre de la Santé pour rédiger un nouveau RCM à l'intention des médecins privés de convention.
Une intervention du ministre de la santé
Reste que la CSMF nie avoir « une quelconque volonté de revenir aujourd'hui dans le "jeu conventionnel" ». Le Dr Chassang souligne que ce rapprochement avec la CNAM s'est fait sous la contrainte, à la demande expresse du ministre - voire du plus haut niveau de l'Etat -, et sous la forme d' « échanges de mails et de discussions téléphoniques » exclusivement. En effet, après l'annulation in extremis d'un rendez-vous dans le bureau de Jean-François Mattei, tourmenté par l'affaire de la canicule meurtrière, les dirigeants de l'assurance-maladie et de la CSMF se sont finalement contentés de faire circuler un parapheur.
Mises à l'écart de la discussion par la direction de la CNAM, les trois autres organisations syndicales représentant les médecins spécialistes (SML, FMF et Alliance) ont toutes refusé de signer le texte.
Autre fait singulier : c'est bien la première fois qu'un ministre demande à l'assurance-maladie et aux syndicats médicaux de lui souffler des idées pour un rédiger un RCM qui relève entièrement de sa compétence. D'aucuns y voient une façon élégante de se défausser, faute de pouvoir satisfaire les spécialistes, et/ou une manière de « faire une fleur » aux partenaires sociaux représentés à la CNAM, et tout particulièrement à la CFDT qui en détient la présidence en la personne de Jean-Marie Spaeth.
Quoi qu'il en soit, le ministère de la Santé restait très évasif en début de semaine sur le contenu et la date d'entrée en vigueur du RCM rénové, « n'ayant pas encore reçu officiellement » le document signé conjointement par les caisses et la CSMF. Tout au plus, indiquait-il qu'il lui était « impossible administrativement » de faire paraître le RCM pour le 1er septembre.
La CSMF, qui a validé le document au sein de son bureau national, reconnaît que le texte est « imparfait, très minimaliste et surtout pas à la hauteur des attentes légitimes des spécialistes ». Elle défend sa signature en précisant que ses propositions sont en quelque sorte un pis-aller pendant « une durée maximale de quinze mois », en attendant la réforme de l'assurance-maladie, la nouvelle CCAM technique, repoussée de six mois au 1er juillet 2004, ainsi que la CCAM clinique prévue comme toujours au 1er janvier 2005. Le Dr Chassang invoque des justifications d'ordre « économique, stratégique et politique ». Compte tenu de la « dégradation des comptes de l'assurance-maladie et (des) tensions sociales à venir », la CSMF veut « prendre la main » dans les négociations sur les réformes précitées à venir, tout en « préservant l'unité du corps médical ».
« Bouffée d'oxygène » ?
Le protocole d'accord est porteur d'une « petite bouffée d'oxygène que (la CSMF) ne pouvait pas laisser passer », renchérit le Dr Jean-François Rey, président de l'UMESPE-CSMF.
Si le Dr Chassang dit avoir signé « sans enthousiasme » le relevé de conclusions, la proposition de RCM a reçu un accueil glacial dans la profession médicale. « Une seule question désormais se pose : quelle est maintenant la différence entre la CSMF et MG-France ? », s'interroge le Dr Dominique Moutel, président du syndicat départemental CSMF de la Drôme.
Le Syndicat des médecins libéraux (SML), qui était jusqu'à présent l'allié indéfectible de la CSMF depuis près de deux ans, se montre maintenant très hostile à son encontre (voir notre entretien avec son président, le Dr Dinorino Cabrera page 3). Dans un communiqué, le SML parle de « document inacceptable » qu'il se refuse à signer pour des raisons « de logique », « de fond » et « d'opportunité ».
A la FMF, le Dr Jean-Claude Régi ne cache pas son étonnement et parle de « convention a minima » qui « fait fi de problèmes graves » puisque les « honoraires des chirurgiens ne sont pas revalorisés » et que la RCP « devrait se situer HORS du champ conventionnel ». Le Dr Félix Benouaich de l'Alliance n'y trouve pas non plus son compte, en raison des chirurgiens « non pris en compte » et de la procédure employée.
La Coordination nationale des médecins spécialistes (CNMS) conteste la légitimité du président de la CSMF à signer un tel accord pour les spécialistes du secteur I, dans la mesure où le Dr Chassang est « généraliste installé en secteur II » et « principal signataire de l'accord du 10 janvier » que les médecins coordonnés ont toujours rejeté. La CNMS, qui affirme regrouper « 10 000 adhérents » (soit autant que la CSMF, généralistes et spécialistes réunis), « met en garde solennellement le ministre de la Santé et le gouvernement quant à la publication d'un RCM qui ne répondrait pas à l'exigence déontologique qu'elle a maintes fois rappelée, à savoir donner la possibilité aux médecins spécialistes libéraux de facturer des honoraires leur permettant de faire face à leurs obligations de moyens et donc compatibles avec l'exercice d'une médecine de qualité (...) ». Faute de quoi, tout RCM sera considéré par les spécialistes coordonnés comme « nul et non avenu ». De nombreux médecins coordonnés se comportent déjà comme des praticiens de secteur II à honoraires libres et engagent des recours juridiques pour officialiser cette situation.
La Conférence nationale des associations de médecins libéraux (CNAMLIB, qui fédère plusieurs milliers de médecins issus des coordinations et/ou de syndicats) vient justement d'écrire à Jean-François Mattei pour l'avertir du caractère « irréversible » des dépassements d'honoraires chez les spécialistes de secteur I, qui sont normalement tenus de respecter des tarifs conventionnels gelés depuis huit ans (voire treize ans pour les actes techniques et chirurgicaux). Le Dr Guy Schucht, président de la CNAMLIB, explique en effet au ministre de la Santé que c'est grâce à ces majorations d'honoraires que « la grande majorité des spécialistes libéraux » ont pu « contracter des emprunts importants pour remettre leurs matériels à niveau » et « assumer le financement de la totalité de leurs charges sociales » lorsqu'ils ont été sanctionnés par leur caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM). Pour la CNAMLIB, la publication d'un nouveau RCM ne peut que « déclencher des procédures de déconventionnements » à l'initiative des caisses (pour cause de dépassements d'honoraires abusifs), et, partant, une « confrontation » avec les médecins « préjudiciable à tous, médecins, CNAM, gouvernement et surtout patients ». Souhaitant éviter toute « situation incontrôlable pour tout le monde sur le plan national », ce mouvement propose au ministre de participer à la réflexion sur « une réforme profonde de l'exercice médical spécialisé et du cadre conventionnel ».
(1) Les pédiatres, qui bénéficient du forfait pédiatrique depuis un an, les chirurgiens, radiologues, anesthésistes-réanimateurs et les cardiologues ne sont pas concernés.
A lire également sur le même thème dans notre édition du 28 août 2003 :
> Ce que prévoit laccord
> Dr Dinorino Cabrera (SML) : Un texte absurde qui ne résout rien
> Rien nest réglé pour la responsabilité civile professionnelle concernant 2004
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