DE NOTRE CORRESPONDANTE
PHYSIOLOGIQUEMENT, l’adolescence est une période de grande mutation. Elle se déroule de surcroît dans une société confrontée à un profond changement depuis vingt ans. D’où certaines incompréhensions, et une forte inquiétude des sociétés occidentales face à des comportements qui déroutent.
Pour mieux comprendre ces tensions, les organisateurs de ce colloque ont eu l’idée de croiser les regards de différents professionnels : durant trois jours, sociologues, pédopsychiatres et philosophes et éducateurs ont débattu de l’adolescence avec une approche pluridisciplinaire.
Pour le sociologue Didier Lapeyronnie (université de Bordeaux-II), les tensions liées à l’adolescence ont été aggravées par la crise que vit notre société : «Le processus de socialisation a profondément changé depuis vingt ans. Auparavant, le passage à l’âge adulte passait à la fois par la formation de la personnalité et l’acquisition des compétences. Or, ces deux phénomènes aujourd’hui se séparent. La vie juvénile ne se situe plus dans l’apprentissage destiné à acquérir un statut social. Elle est ailleurs. D’où des tensions accrues, car les personnalités se forment sans l’acquisition parallèle de compétences.»
La société française est de plus en plus riche, mais avec une mobilité sociale fermée depuis 1980. Les adolescents se trouvent donc partagés entre une pression familiale très forte et une société incapable d’ouvrir ses portes aux jeunes. Pour ce sociologue, «la crise actuelle de l’adolescence est plutôt une crise sociale. Pressés de toutes parts, les jeunes n’ont plus le plaisir d’étudier. Leur seule volonté est de desserrer l’étau».
Philippe Jeammet, professeur de pédopsychiatrie au Chru de Paris-VI, a une vision moins sociale de l’adolescence. A ses yeux, celle-ci est avant tout une prise de distance vis-à-vis des parents. «A l’adolescence, le jeune perd la protection de l’enfance et doit montrer ce dont il est capable. C’est l’heure des comptes! Les plus fragiles sont habités par la peur: prendre cette distance les confronte à leur peur de se trouver seuls face à eux-mêmes. Quinze à 20% d’entre eux vont alors se tourner vers la destruction.»
Pour le pédopsychiatre, la société libérale dans laquelle nous vivons actuellement aggrave certes le phénomène. «Un cadre sans contrainte est une source d’angoisse pour les anxieux. Le “fais cequ’il te plaît” peut se révéler très angoissant. Grandir, c’est faire l’apprentissage de l’attente: accepter de ne pas obtenir tout de suite la réponse à ses désirs. Mais cela suppose d’avoir confiance en soi. Un jeune qui n’a jamais expérimenté l’attente dans son enfance va ressentir une frustration intolérable. Totalement dépendant de l’autre, il peut basculer dans le pathologique à l’adolescence.»
Prisonniers de leurs émotions.
Evoquée également, la crise de l’école. «Grandir requiert de la sécurité, de la reconnaissance et une possibilité de s’affirmer. L’école devrait être un espace sans menace offrant une alliance entre jeunes et adultes. Or l’école peine à organiser l’accompagnement des jeunes», déplore Eirick Prairat, professeur de sciences de l’Education à Nancy-II.
Société de l’immédiateté, école en crise... Autant de facteurs qui interfèrent sur le passage de l’enfance à l’âge adulte. «Un certain nombre de valeurs comme la politesse, le respect, ont disparu, constate Philippe Jeammet. L’implicite social s’est effiloché. Avec ce relâchement des contraintes, ce n’est pas une liberté que l’on donne aux adolescents, c’est un abandon. Ce faisant, on les laisseprisonniers de leurs émotions.»
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