LA MORT DE quatorze patients hospitalisés au CHU de Besançon (Doubs), sur 18 cas examinés, a été accélérée par des pratiques qui relèvent de l'euthanasie. Telle est la conclusion de l'expertise médicale menée dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte par le parquet de Besançon.
Sur ces quatorze patients, dont l'état se situait « au-delà de toute ressource thérapeutique », selon les termes du rapport, quatre ont subi une euthanasie « directe » par injection de produits ayant pour objet d'entraîner la mort : une patiente, d'après le rapport que cite « l'Express », hospitalisée à la fin 2000, aurait reçu après une décision d'arrêt thérapeutique, une injection de Nimbex ; une injection de 100 mg de Tracrium aurait été administrée à un autre patient, après l'arrêt de la ventilation mécanique qui le maintenait en vie. Une patiente extubée aurait encore subi une injection de 12 g de chlorure de potassium.
Les dix autres décès résulteraient, quant à eux, d'actes d'euthanasie dite indirecte, c'est-à-dire de l'administration de substances antalgiques qui peuvent soit avoir un simple effet calmant, soit provoquer une dépression respiratoire qui aboutit à la mort.
Six ans après les faits
« Les faits remontent à 1998, raconte au "Quotidien" Pascale Letombe, manipulatrice radio et secrétaire du syndicat CGT de l'établissement. A l'époque, les soignants s'étaient émus de pratiques bizarres au sein du service de réanimation chirurgicale. Sans aller jusqu'à porter plainte, les syndicats ont alerté la direction, laquelle a fini par saisir la Drass et l'Igass, qui sont venus mener l'enquête. »
Le chef du service de réanimation chirurgicale, le Pr Annie Boillot, exprimait alors son indignation face à des « insinuations calomnieuses colportées par quelques agitateurs au sein de l'hôpital ». Elle dénonçait en particulier « l'agressivité » des infirmiers contre les médecins, « le moindre petit problème donnant lieu à des incidents relationnels mal vécus », à l'image de la mutation d'un cadre infirmier qui avait été suivie par le dépôt d'un préavis de grève.
Trois médecins inspecteurs de la Drass ont mené l'enquête, relayés par une mission de l'Igass à l'issue de laquelle, pour calmer le jeu entre les médecins et les paramédicaux, plusieurs changements d'affectation étaient décidés, un nouveau chef de service venu de l'AP-HP étant notamment appelé à la rescousse.
Cependant, l'affaire de Besançon cependant était lancée. La presse publiait en 2002 les conclusions de la Drass, qui rapportaient des poses de perfusions de chlorure de potassium et des injections de curare non mentionnées dans les dossiers.
Aucune plainte n'était alors déposée. Et, contrairement à certaines informations, « à ce jour aucune famille n'a engagé de procédure, pas plus que le parquet n'a ouvert d'information judiciaire », précise au « Quotidien » le procureur adjoint de la République de Besançon.
Seul élément nouveau, la décision de confier au service régional de la police judiciaire (Srpj) de Dijon des auditions complémentaires, en vue d'éclaircir des pratiques qui, estiment les magistrats, « restent extrêmement délicates à interpréter ».
Le sentiment d'embarras est en effet général : la direction du CHU n'a pas prononcé de sanctions, l'Ordre départemental n'est pas intervenu, qui, comme le souligne son président, le Dr Jean-Claude Sarrey, « ne peut se saisir d'un dossier touchant le service public que dès lors que des sanctions pénales auront été prononcées » ; aucune plainte n'a été déposée ni par la Ddass, ni par le parquet, ni par les familles.
Six ans après les premiers faits incriminés, l'affaire de Besançon n'en est toujours qu'au stade préliminaire. « Comme nous l'avions fait remarquer dès 2002, souligne le Dr Eric Maury, secrétaire général de la Société des réanimateurs de langue française (Srlf), ce dossier charrie des éléments qui ressortissent au domaine du fantastique et entretiennent un profond climat de malaise. »
Ancien responsable du comité d'éthique de la Srlf, le Pr François Lemaire (CHU Henri-Mondor de Créteil) ajoute que, « dans cette affaire comme dans l'affaire de la mort de Vincent Humbert, à Berck-sur-Mer, des produits semblent avoir été utilisés, que la Srlf bannit de son code de bonne conduite. Mais au moins, comme celui de Berck, le dossier de Besançon devrait contribuer à accélérer la modification de l'article 37 du code déontologie, dans le sens d'une plus grande sécurité juridique des médecins qui interviennent dans les moments de fin de vie ».
Le garde des Sceaux, Dominique Perben, vient de faire savoir qu'il souhaitait une modification du code de déontologie en ce sens et le Dr Michel Ducloux, président du Conseil national de l'Ordre a annoncé qu'il allait transmettre au Conseil d'Etat, dans les prochains mois, un nouveau texte, qui s'assortirait de circulaires adressées aux parquets (« le Quotidien » du 30 avril). L'accélération de l'histoire, enfin.
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