DIFFICILE encore aujourd’hui de chiffrer le nombre de victimes du syndrome du bébé secoué (SBS) sur notre territoire, aucune donnée nationale officielle n’existant à ce sujet. Quelques études locales permettent cependant d’établir une certaine tendance. Le Centre ressources francilien du traumatisme crânien (Crftc) estime qu’au moins 300 bébés secoués sont pris en charge chaque année par les services de neurochirurgie des hôpitaux français. Une étude menée pendant dix ans à l’hôpital Necker (Paris), qui accueille une moyenne de 50 bébés secoués chaque année, nous renseigne sur le profil des petites victimes. Elles ont le plus souvent moins de 6 mois et sont de sexe masculin. L’étude fait en outre ressortir qu’aucun cas signalé n’était issu d’une collectivité de type crèche.
Les circonstances sont souvent les mêmes : un enfant pleure, l’entourage perd son contrôle, un adulte secoue alors l’enfant pour le faire taire. Cependant, le diagnostic du SBS est la plupart du temps difficile à poser. La symptomatologie peut être discrète et trompeuse, avec, par exemple, des vomissements ou des enfants geignants qui prennent mal leur biberon. L’absence de signes extérieurs ou d’explication claire des parents contribue à obscurcir le diagnostic. Les signes cliniques initiaux d’un SBS sont très variables selon la gravité des lésions : vomissements, malaises allant de la somnolence au coma, tension de la fontanelle, crises convulsives ou troubles respiratoires.
Trois examens.
Les hématomes sous-duraux provoqués par la violence faite au nourrisson au cerveau encore immature provoquent des souffrances terribles avec des séquelles qui sont la plupart du temps dramatiques : 10 % des bébés décèdent, 90 % des survivants présentent des retards mentaux tandis que 75 % présentent des troubles de la vue plus ou moins importants, allant même jusqu’à la cécité.
Compte tenu de la gravité du syndrome, le moindre doute doit donner lieu à la réalisation de trois examens, un scanner cérébral pour déceler l’hématome sous-dural, un fond d’oeil pour la recherche d’hémorragies rétiniennes ainsi que des radiographies du squelette corps entier.
Si la question du diagnostic relève rarement de l’évidence, celle du signalement d’un cas de bébé secoué à la justice n’est guère plus aisée. En théorie, le cadre législatif est pourtant clair et oblige quiconque témoin d’un cas de SBS à le signaler expressément à la justice, y compris les personnes soumises au secret professionnel, à l’instar du personnel de santé et des médecins. «L’article 226.14 du code pénal dit qu’une violation du secret professionnel n’est pas applicable aux professionnels qui informent les autorités judiciaires ou administratives des sévices sur mineurs, rappelle E. Vieux, présidente de chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence. La jurisprudence précise bien que l’interprétation de ce texte fait que le professionnel garde la liberté de choix de révéler ou non.» L’article 44 du code de la déontologie médicale oblige le médecin à alerter les autorités médicales, administratives ou judiciaires en cas de danger couru par un mineur. L’absence de réaction d’un soignant face à un cas de SBS peut-il alors relever de l’article 226.3 du code pénal relatif à la non-assistance à personne en danger ? «Le législateur a tissé autour de l’enfant toute une chaîne de devoir de protection. Et dans une chaîne de protection, il ne peut y avoir de maillon faible, car nous sommes ici dans une communauté d’actions au service d’un être faible et sans défense.»
En pratique, la réalité est cependant toute autre, comme le souligne le Dr Caroline Mignot, pédiatre au CHU Necker (Paris) : «Malgré le cadre législatif, il reste très difficile d’apprécier les cas, et entre médecins, c’est souvent une foire d’empoigne à ce sujet. Malgré une connaissance clinique de ce syndrome en constante évolution depuis dix ans, beaucoup d’incertitudes demeurent au niveau des diagnostics.»
Fractures ou ecchymoses.
Le Dr Mignot précise toutefois les cas où les signalements à l’autorité judiciaire ou autre ne se discutent pas. Un signalement est systématique à partir du moment où il y a décès du nourrisson. Lorsqu’un SBS est soupçonné, beaucoup de médecins sont partisans d’une autopsie, bien que cette dernière ne puisse être ordonnée qu’après l’aval de l’autorité judiciaire. Si le soignant est confronté à un cas de maltraitance avérée avec des signes sans équivoque de fractures ou d’ecchymoses, le signalement doit, là aussi, être systématique, même s’il existe de rares cas de fragilité particulière chez certains nourrissons pouvant entraîner pareils symptômes sans pour autant relever d’une violence de type SBS.
Un signalement est encore nécessaire lorsqu’une tierce personne extérieure aux parents est impliquée à plus ou moins forte raison dans un contexte présumé de maltraitance. Enfin, l’absence de remise en question de la famille et le déni massif face aux faits avérés doit alerter le soignant et motiver un signalement à l’autorité médicale, administrative ou judiciaire.
A noter que l’information judiciaire n’est lancée que sur la base d’un signalement écrit. Si un signalement oral peut être un premier pas en cas de doute du soignant, il ne permet en aucun cas l’engagement d’une procédure judiciaire.
Le Dr Mignot garde pour sa part une certaine réserve quant aux réponses judiciaires : «Globalement, c’est la pénalisation des auteurs des faits de SBS qui va l’emporter sur la protection de l’enfant. A peine la moitié des signalements judiciaires arrivent devant le juge des enfants et seulement 25% des cas bénéficient d’une mesure de protection.»
Lorsque, enfin, il y a information auprès de la justice, la rétro-information auprès des soignants semble très rare et peut entraîner une certaine démotivation chez les médecins, compte tenu du faible retour des suites de leur signalement et de la faible possibilité qu’ils ont d’évaluer la raison ou non de leur démarche. Bien que, légalement, les médecins, comme tous les citoyens, n’aient aucun droit d’information auprès des tribunaux, un peu plus de bonne volonté et de coopération permettraient de faire avancer les choses.
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