Une Constitution en béton

Publié le 10/06/2002
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Jacques Chirac ne se contente pas de remporter victoire sur victoire ; il avance au rythme de la Constitution. Au lendemain du premier tour de la présidentielle, on craignait tellement la montée des extrémismes que les propositions de VIe République ou de changement de la Constitution fusaient de toutes parts.

A cet excès de pusillanimité, le chef de l'Etat a opposé la confiance qu'il accorde aux institutions ; à ceux qui redoutaient un Le Pen à 30 %, il ne répondait rien, et se contentait d'attendre le plébiscite qui l'a reconduit dans ses fonctions ; face à ceux qui additionnaient les votes de protestation, il se cantonnait dans un rôle de président serein qui n'avait pas joué sa dernière carte, comme s'il disposait encore d'atouts capables de calmer l'orage.

Analyse confirmée

Or le premier tour des législatives confirme à cent pour cent l'analyse de M. Chirac. Le président n'était pas certain de l'emporter, même si les sondages, particulièrement prudents, lui laissaient entrevoir un peu mieux que ce qu'ils annonçaient, c'est-à-dire la victoire de son camp. A deux reprises, il a demandé aux Français de lui donner cette majorité sans laquelle le pays retomberait dans la cohabitation. Son message était clair et simple : nous n'avons pas besoin d'une révolution, fût-elle institutionnelle. Il suffit que vous fassiez le bon choix. Le choix logique. Le choix qu'indique la Constitution en pareille circonstance.
L'homme qui, en 1997, était tellement désemparé par la catastrophe budgétaire que prédisaient ses proches et qui, dans la panique, a pris la pire décision de sa carrière, une dissolution et des élections anticipées qui ont placé la gauche au pouvoir, a joué, en 2002, de main de maître. Pas plus que vous et moi, il n'avait prévu la disparition de M. Jospin au premier tour. Mais il ne lui a pas fallu plus que la soirée du scrutin pour imaginer le scénario qui allait se dérouler.

L'appel aux démocrates

D'abord, dans sa bataille contre Le Pen, il ferait le plein des voix des démocrates. Il ne pouvait pas être sûr, au lendemain du premier tour de la présidentielle, que le chef du Front national ne ferait pas un score élevé. Il courait donc le risque, s'il ne tronçonnait pas M. Le Pen, de se retrouver avec une Assemblée en trois morceaux : droite classique, gauche, extrême droite. En d'autres termes, une France ingouvernable.
De se trouver à deux doigts du désastre - pour lui et pour le pays - lui a donné des ailes. Le voici qui nomme Jean-Pierre Raffarin Premier ministre et que, loin d'annoncer un programme dont une partie au moins aurait été dictée par cette gauche qui a voté pour lui, il propose un mode chiraquien de gestion de la France. Loin de rassembler les démocrates qui lui ont donné une majorité de 82 %, il applique exclusivement ses propres idées. Il a donc le front d'ignorer « le peuple de gauche » aussitôt après l'avoir remercié. Il prend délibérément le risque de faire revenir la gauche au pouvoir.

La chance

Du 21 avril au 9 juin, le président de la République, avec une assurance qu'on ne lui connaît guère et une attitude à l'égard de la gauche presque cynique, navigue entre divers écueils sur l'un desquels, à tout moment, son esquif pourrait se briser. Le voilà qui remporte le premier tour des législatives et peut espérer une majorité sinon écrasante, assez ample pour gouverner sans soucis. Et ce résultat, il ne le doit qu'à sa maîtrise de lui-même, à la chance, et à son analyse.
Il savait en effet que la Constitution et le scrutin majoritaire à deux tours transforment en triomphe une avance de quelques points. Deux points d'avance lui suffisaient pour avoir la majorité absolue en sièges, au prix de douloureuses batailles dans les circonscriptions avant le second tour. Mais l'UMP a sept points de plus que la gauche : on comprend donc pourquoi les projections faites par les organismes de sondage ne laissent aucun doute sur le résultat du second tour.
C'est un redressement extraordinaire. Certes, M. Chirac a été aidé par le vote lepéniste qui a écarté M. Jospin de la compétition. Mais si le talent politique consiste à saisir l'occasion historique, alors M. Chirac n'en a pas manqué. Ce qui est saisissant, dans cette séquence d'une cinquantaine de jours, c'est le calme olympien du président face à un peuple en pleine ébullition, capricieux quand il ne va pas voter, impulsif quand il manifeste pour compenser les abstentions, imprévisible dès lors que ceux qui manifestent et ceux qui votent ne sont pas les mêmes. M. Chirac s'est conduit comme s'il pressentait ce qui allait arriver. Comme s'il avait lui-même écrit le synopsis de ces quatre tours.
On peut bien sûr s'appesantir sans fin sur certains épisodes du récit. On n'a pas manqué, lors de la soirée électorale de dimanche, d'entendre des gens de gauche nier leur défaite (les sondages se trompent toujours, donc on ne sait pas ce qui va se passer au second tour), ou l'expliquer par des raisons factices (la droite a refusé le débat avant le premier tour des législatives, c'est pourquoi nous avons perdu) ou encore s'engager d'ores et déjà dans l'opposition (on augmente les honoraires des médecins, pas le SMIC).

Partie de poker

Et même à droite, on n'a pas dit ce qui pourtant relève de l'évidence : M. Chirac, en s'appuyant sur les seuls ressorts de la Constitution, a parfaitement joué sa partie de poker : il a tiré le meilleur parti de l'affaiblissement politique de la gauche, il a renvoyé les trotskistes à leur score habituel et l'extrême droite à son étiage. M. Le Pen se demande encore pourquoi le FN a fait (avec le MNR) 20 % au premier tour de la présidentielle et seulement 12,50 % au premier tour des législatives. C'est la Constitution, mon pauvre ami.
Bien entendu, la partie n'est pas complètement gagnée. Le FN peut encore embarrasser ou faire reculer la droite ; la défaite de la gauche n'est pas du tout déshonorante, elle a quand même remporté 36 % des suffrages ; la droite classique est loin d'une représentation à l'Assemblée qui soit comparable à celle de 1993, année où elle a obtenu quatre cinquièmes des sièges. Mais 2002 est une année particulière. C'est l'année où l'extrême droite a fait une percée sans précédent, l'année où le candidat de la gauche a été battu au premier tour, l'année où l'extrême gauche elle-même s'est fait entendre, et Dieu sait qu'elle a fait du bruit.
Par conséquent, on a cru que tout était possible. Eh bien, non. Les élections législatives ont fait l'effet de l'huile sur une mer démontée : les extrêmes sont tenus en échec, l'alternance joue, la droite est majoritaire, la gauche est minoritaire. On verra dimanche prochain si on en a fini avec la tempête.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7143