Plus que jamais, les stratégies de diagnostic et d'évaluation de la maladie coronaire auront été placées sous le signe de la confrontation entre résultats anatomiques et fonctionnels, entre techniques anciennes et modernes…
UNE « BONNE » épreuve d'effort reste un examen irremplaçable, ne serait-ce qu'en raison de sa valeur pronostique, réaffirmée par l'étude MRFIT : chez 12 555 hommes asymptomatiques, âgés de 35 à 57 ans, l'incapacité à atteindre 85 % de la fréquence maximale théorique (FMT) est associée à une augmentation de 80 % du risque de mort subite, de 60 % du risque de décès d'origine cardiaque et de 30 % du risque de décès toutes causes confondues. Les autres marqueurs du risque sont une fréquence cardiaque de repos supérieure à 80/min, ou un faible écart entre fréquence maximale et fréquence de repos. La valeur pronostique d'une hyperexcitabilité ventriculaire a également été rappelée, mais pour noter que les extrasystoles ventriculaires (ESV) en phase de récupération sont de plus mauvais pronostic que celles enregistrées à l'effort (1 959 patients suivis 5,4 années).
De nombreuses communications et sessions ont une fois de plus été consacrées au scanner. Sur le plan technique, les nouveautés étaient surtout dans les stands, qu'il s'agisse du Bi-tube de Siemens ou du 256 barrettes de Toshiba, avec assez peu de communications cliniques. La grande majorité des travaux présentés et des discussions a porté sur la valeur réelle de cet examen en situation clinique, et sa place dans les algorithmes de décision.
La valeur libératoire du scanner.
Plusieurs auteurs ont souligné l'importance de la sémantique : une sensibilité de 80 % (pour le diagnostic d'une sténose de 50 % et plus, la coronarographie étant prise comme référence) signifie que sur 100 sténoses significatives, le scanner en identifie 80. Il en « manque » donc 20. Mais ce résultat, plutôt favorable en première lecture, ne signifie pas que le scanner n'a conclu à la présence de sténoses significatives que 80 fois : il a pu conclure par excès chez une proportion élevée de sujets : cette notion, qui n'apparaît pas dans le calcul de la « sensibilité », est prise en compte par la « valeur prédictive positive » d'un examen, proportion des cas où on donne « la bonne réponse » lorsque l'élément recherché est présent.
En l'occurrence, la valeur prédictive positive (VPP) du scanner coronaire est faible, comprise entre 50 et 60 % dans la plupart des travaux. Notamment, l'étude du Rotterdam Thorax Centrum, portant sur 300 patients (aucun pontage ni stent, rythme sinusal, fréquence cardiaque = 58/min) retrouve une VPP de 58 %, en sachant que dans ce travail comme dans tous ceux comparant scanner et coronarographie, il y a indication de coronarographie préalable, autrement dit prévalence de maladie coronaire élevée, et donc biais favorable au plan statistique.
La bonne nouvelle est que la valeur prédictive négative du scanner, proportion des cas où l'on donne la bonne réponse lorsque l'élément recherché est absent, est en règle générale élevée ou très élevée, entre 95 et 99 % selon les séries. Cette excellente valeur libératoire est exploitée dans plusieurs travaux portant sur l'utilisation du scanner coronaire dans le cadre de douleurs thoraciques ne faisant pas leurs preuves, vues dans le contexte de l'urgence ou de la semi-urgence. (« Chest Pain Centers »). A titre d'exemple, sur 493 patients examinés dans ce contexte, le scanner s'est révélé normal ou n'a montré que des lésions de faible degré dans 73 % des cas ; aucune coronarographie n'a été réalisée chez ces sujets, et aucun accident ou incident n'est survenu au cours d'un suivi de 30 mois.
Le scanner est donc un bon examen lorsqu'il est normal (ou quasi normal), mais, à l'heure actuelle, cette technique ne permet pas de déterminer avec précision le degré de sévérité exact d'une sténose coronaire. Plusieurs travaux ont rappelé à cet égard que, sur 100 patients ayant une ou plusieurs sténoses jugées « significatives » au scanner, moins de la moitié sont en réalité ischémiques à la scintigraphie.
Il existe donc une certaine déception par rapport aux espoirs qu'avait pu susciter la méthode, déception que l'on peut en fait expliquer très simplement. D'une part, il apparaît maintenant clairement que le scanner est une technique très opérateur-dépendante : préparation du patient, acquisition des données et traitement des images requièrent à la fois temps et expertise. Le moindre manquement lors de l'une quelconque de ces étapes peut conduire à de grossières erreurs. D'autre part, toute technique a ses limites, et le fonctionnement de la circulation coronaire obéit à des règles précises : la conférence de synthèse tenue par K. Lance Gould en fin de congrès, saluée par une véritable ovation, permet de revenir à certaines notions de base.
Quelques rappels physiologiques et techniques.
La coronarographie « classique » a une résolution spatiale de 0,2 mm. Cela signifie qu'une sténose chiffrée à 50 % mesure en réalité entre 45 et 55 %, compte tenu de l'erreur liée à l'incertitude sur la mesure. La résolution spatiale actuelle des scanners 64 barrettes est au mieux de 0,450 mm. Une sténose chiffrée à 50 % mesure donc, en réalité, entre 35 et 65 % pour un vaisseau de 3 mm de diamètre, compte tenu là encore de l'erreur sur la mesure, inhérente à la technique elle-même.
Ces réalités physiques permettent de comprendre qu'il est très difficile de chercher à estimer le caractère « significatif » d'une sténose sur des critères purement anatomiques. En coronarographie, la différence entre deux sténoses chiffrées respectivement à 40 et 60 % est de 0,4 mm pour un vaisseau de 2 mm de diamètre, ce qui se situe aux limites des possibilités de la rétine humaine. Quant au scanner, lorsqu'il est techniquement réalisé dans des conditions parfaites, sa résolution spatiale actuelle ne permet bien souvent que d'exprimer une hypothèse prudente sur le caractère plus ou moins sténosant des lésions mises en évidence.
Ces réalités mathématiques ne sont d'ailleurs pas contredites par les résultats des études publiées : un travail récent retrouve une corrélation significative (r = 0,71 ; p < 0,05) entre sévérité des sténoses estimées par coronarographie et par scanner. L'analyse des données individuelles montre cependant que certains patients ont une sténose chiffrée à 30 % en coronarographie et à 70 % au scanner, ou l'inverse.
On peut fournir un éclairage complémentaire à ces réalités, relatives à la physique des rayonnements, en leur intégrant une approche physiologique : comment fonctionne la circulation coronaire, notamment en présence d'une sténose de degré croissant ?
En situation de « stress », lors d'un effort, par exemple, le débit coronaire est très sensible à la présence d'une sténose. Il reste normal tant qu'elle ne dépasse pas 40 %, mais décroît ensuite très rapidement : à l'effort, le débit est multiplié par 5 chez un sujet normal, mais n'augmente pratiquement pas (voire baisse) chez un sujet ayant une sténose de 90 %. Le débit à l'effort est à peu près insensible à la présence d'une sténose jusqu'à 40-50 %, mais varie ensuite comme la puissance quatrième du rayon du vaisseau : une faible majoration de la sévérité de la sténose se traduit par une réduction importante du débit.
Le débit coronaire constitue en quelque sorte un miroir grossissant de la réalité anatomique sous-jacente. Pour reprendre l'exemple cité plus haut, un écart de 0,4 mm du diamètre intraluminal entre deux sténoses de 40 et 60 %, à peu près indétectable visuellement, se traduira par une différence de perfusion aisément identifiable en scintigraphie « classique » (type thallium), ou afortiori PET (82 Rb).
A ce propos, plusieurs communications ont été consacrées au PET-scan, le traceur utilisé étant en règle générale le 82 Rb (rubidium). La méthode a l'avantage d'être non invasive, faiblement irradiante, rapide, mais surtout quantifiable. Elle permet l'étude précise de la réserve coronaire, en valeur absolue et relative. La limite de cette technique est son coût, mais si ce dernier apparaît élevé « frontalement », la précision de la technique fait que le PET-scan pourrait bien sortir vainqueur des confrontations coût/efficacité.
Stratégies.
A partir de ces réalités à la fois physiologiques et techniques, quelles stratégies diagnostiques peut-on proposer ? Chez un patient donné, quel est le meilleur algorithme décisionnel ? Le sujet est complexe, dans la mesure où il se doit d'intégrer les performances de chaque modalité, leur valeur pronostique et leur coût.
Une étude de l'Harvard School of Public Health reposant sur un modèle de 1 000 patients théoriques et prenant en compte les performances des différentes méthodes disponibles (épreuve d'effort, écho de stress, scintigraphie et scanner) a conclu que le meilleur rapport coût/efficacité est obtenu par l'association scanner en première intention, éventuellement suivi par une scintigraphie.
Dans la pratique clinique française, il paraît raisonnable de dire que, si l'épreuve d'effort n'a pas résolu le problème, ou n'a pas pu être réalisée, le scanner, compte tenu de son excellente valeur prédictive négative, est un bon examen pour éliminer une coronaropathie lorsqu'elle apparaît peu probable (femme de 45 ans décrivant des palpitations, par exemple). La scintigraphie reste l'examen le plus performant lorsque la probabilité de maladie coronaire est plus élevée (homme de 65 ans ayant des signes fonctionnels plus ou moins typiques, par exemple).
Le scanner coronaire : une excellente valeur prédictive négative
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