La lutte contre les bactéries qui résistent aux antibiotiques, en médecine humaine et vétérinaire, s'appuie sur des données épidémiologiques récentes, limitées et souvent contradictoires.
L'OIE, l'Organisation mondiale de la santé animale, n'a décidé en effet qu'en mai 1999 de créer un groupe ad hoc d'experts internationaux pour étudier, « d'une manière globale et multidisciplinaire », les risques pour la santé humaine et animale que le phénomène fait peser sur la santé publique : la revanche des bactéries n'aura pas lieu.
A l'époque, la première conférence internationale réunie à Paris, au siège de l'organisation, avait été particulièrement « chaude », se souvient Jacques Boisseau, membre du comité scientifique de la conférence et directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV). « Très peu de pays disposaient de données et, en raison de la grande diversité des méthodologies en vigueur chez les uns et les autres et de l'utilisation d'échantillonnages dissemblables, il n'avait pas été possible de valider scientifiquement un programme cohérent de surveillance international », explique-t-il au « Quotidien ».
Le risque diversement apprécié
L'appréciation du risque, effectivement, n'est pas du tout la même selon les pays : « Les Scandinaves sont les champions du principe de précaution en l'espèce, estime Jacques Boisseau. La prohibition de tout antibiotique dans l'élevage a même été leur cheval de bataille lorsqu'ils ont adhéré à l'Union européenne, Bruxelles étant à leurs yeux coupable de laxisme. A l'opposé, les Américains font figure de mauvais élèves, avec une utilisation qui reste massive de l'antibiothérapie comme hormone de croissance. Par exemple, ils recourent sans mesure aux tétracyclines qui sont formellement bannies en Europe comme facteurs de croissance depuis une quinzaine d'années. Entre les deux, la France, sans que l'on doive crier cocorico, est certainement bien classée, avec notamment son programme de recherche des salmonelles sur les animaux vivants et morts et la limitation drastique des antibiotiques en élevage pour d'autres usages que strictement vétérinaires. »
Le débat international reste très ouvert entre experts : « La question de savoir dans quelle mesure l'animal peut contaminer l'homme semble certes tranchée, observe le directeur de l'ANMV, avec un passage de l'animal à l'homme que l'on connaît, par contact direct et via la chaîne alimentaire. En revanche, le débat scientifique n'est toujours pas clos pour savoir dans quelle mesure exactement les antibiorésistances peuvent provoquer un problème de santé publique. »
Le hit-parade des bactéries antibiorésistantes
A cet égard, chacun se repasse le mistigri : les médecins dénoncent les vétérinaires, qui dénoncent les médecins.
« Il faut cependant souligner que, quand on prend le hit-parade des bactéries antibiorésistantes, les sept premières sont des bactéries humaines et non pas animales », relève Jacques Boisseau.
Quoi qu'il en soit, la prolifération de nouveaux mécanismes de résistance, le développement de résistances à plusieurs antibiotiques, la facilité pour le matériel génétique codant pour la résistance de diffuser de manière horizontale entre différentes espèces bactériennes augmentent le sentiment général de vulnérabilité face à des maladies considérées traditionnellement comme vaincues.
« Raison de plus, lance Jacques Boisseau, pour s'accorder sur une commune méthode d'évaluation du risque et sur des programmes de surveillance scientifiquement validés. Le débat a été jusqu'à présent par trop philosophique. Somme toute, on a commencé par gérer le risque selon les conceptions que chacun avait de l'application du principe de précaution, alors que l'on ne disposait pas encore de véritables moyens d'évaluation dudit risque et, par conséquent, sans qu'il soit possible de mesurer l'impact réel des mesures de précaution adoptées par les uns et les autres. »
Cette deuxième conférence arrive donc à point pour dégager un consensus international. « Les esprits y sont maintenant disposés, estime Jacques Boisseau, tout le monde, médecins, vétérinaires et éleveurs, est acquis au principe d'une promotion vigoureuse et dynamique de l'utilisation prudente des antibiotiques. C'est la condition sine qua non si l'on veut infléchir la tendance actuelle et sauvegarder l'efficacité indispensable des antibiotiques. Cette prise de conscience de la communauté scientifique doit aussi gagner les consommateurs pour qu'ils veillent à de nécessaires mesures d'hygiène comme des temps de cuisson suffisants pour les produits animaux et végétaux. »
* Programme détaillé sur le site www.anmv.afssa.fr/ccoie/conférence.
Cinq lignes directrices
Le groupe d'experts de l'OIE sur l'antibiorésistance a développé et adopté cinq lignes directrices :
- méthode d'analyse des risques pour gérer l'impact potentiel sur la santé humaine et animale de bactéries résistantes d'origine animale dues à l'utilisation d'antibiotiques chez l'animal ;
- usage prudent des antibiotiques en médecine vétérinaire ;
- surveillance des quantités d'antibiotiques utilisées en élevage ;
- harmonisation des programmes de surveillance nationaux chez les animaux et dans les denrées d'origine animale ;
- standardisation et harmonisation des méthodes de laboratoire utilisées pour la détection et la quantification de l'antibiorésistance.
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