LA COUR D'APPEL de Colmar a confirmé cette semaine le jugement en première instance du tribunal correctionnel de Strasbourg de juin 2004. Christophe Morat a donc été condamné à six ans de prison ferme 230 000 euros d'amende pour « administration de substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente ». L'une des deux plaignantes, Aurore (24 ans), est morte avant le procès, probablement suicidée au volant de sa voiture en novembre dernier. « Aujourd'hui, je suis satisfait : la justice a été rendue et une des victimes peut dire qu'elle n'a pas fait tout cela pour rien », a commenté Me Pascal Bernhard, avocat des victimes.
Du côté de l'association Femmes positives, qui compte une cinquantaine d'adhérents, dont 12 femmes contaminées dans le cadre de leur couple (mariage ou concubinage) et deux hommes, on se réjouit que « le statut de victimes soit reconnu ». « Nous sommes séropositives et il n'est pas question pour nous dire que les séropositifs sont des criminels en puissance, dit au "Quotidien" sa présidente, Barbara Wagner. Mais il y a une minorité de séropositives qui utilisent leur sérologie ou leur sexe comme d'une arme, et il faut cautionner ce type de comportement. » L'association milite pour un nouveau cadre juridique qui corresponde à la spécificité d'une contamination volontaire. « Aujourd'hui, nous avons le choix entre l'empoisonnement ou l'administration d'une substance nuisible, ce qui n'est pas satisfaisant », ajoute la présidente. Cinq femmes de l'association ont porté plainte, comme Aurore et Isabelle. Les jugements sont attendus dans les prochains mois.
Le précédent de Rouen.
Mais, d'ores et déjà, les associations s'inquiètent. Me Christophe Bass, avocat de Christophe Morat et qui défend les intérêts de l'association Aides, estime la décision « extrêmement sévère ». « C'est un pas en arrière dans la lutte contre l'épidémie », a-t-il commenté. Christian Saout, président de l'association, veut rester mesuré : « Nous ne pouvons porter de jugement sur la décision de Colmar car nous ne connaissons pas encore les motifs de la condamnation. A Rouen, en 1999, la falsification d'un test positif en test négatif a été sanctionnée. Si les juges de Colmar ont estimé que la seule circonstance d'être séropositif crée une obligation de révéler son statut sérologique, alors toute la stratégie de prévention sera bouleversée. Il faudrait alors revoir les discours sur la prévention. » Pour lui, qui est magistrat et a assisté au procès, la situation est complexe : « Il s'agit d'une relation sexuelle consentie. Je ne suis pas sûr que cela soit la place du juge pénal, d'autant plus qu'en France les atteintes à la personne peuvent être indemnisées au civil. » Il reconnaît que toute personne qui a le sentiment d'être une victime a un droit inaliénable à saisir la justice. « Le juge fait alors son travail, qui est de sanctionner les comportements. Cependant, nous devons nous interroger, vous, moi, la société, sur les conséquences des sanctions pénales pour la prévention et la santé publique. Le juge n'est pas un acteur de la prévention. Jamais des sanctions pénales n'ont empêché les contaminations. » Dans un tel contexte, Christian Saout se prononce contre toute loi spécifique. C'est également l'avis du Pr Willy Rozenbaum, président du Conseil national du sida (CNS) : « Dans tous les pays où existe une politique répressive, comme en Suède, par exemple, existent des effets contre-productifs sur la prévention. » Criminaliser la séropositivité renforce la stigmatisation et favorise les attitudes de dénégation. Le Pr Rozenbaum rappelle que toute la prévention est fondée sur le concept, unanimement admis et reconnu par l'Organisation mondiale de la santé, de la responsabilité partagée et que ce principe doit impérativement être respecté. « Je ne peux pas dire si la condamnation de Colmar remet en cause ce concept parce que je ne connais pas les attendus du procès. Il est évident que s'il y a eu volonté de nuire, c'est la loi générale qui s'applique, comme pour tout acte de malveillance », précise-t-il. En novembre dernier (« le Quotidien » du 12), un communiqué du CNS estimait que, dans une relation consentie non protégée, les partenaires devaient partager les risques. Selon le conseil, « c'est l'intention de nuire ou le fait d'abuser de la confiance d'autrui par fraude ou à la faveur d'un rapport de domination qui sont actuellement condamnés et non le simple fait d'être porteur du VIH ».
Lutter contre la stigmatisation.
Si l'on veut que les procès restent exceptionnels, limités à des cas volontaires de conduites perverses, la lutte contre la stigmatisation est indispensable pour aider « les porteurs du virus à avouer leur séropositivité ». Le Pr Rozenbaum note « que c'est encore plus difficile pour les femmes de déclarer leur séropositivité, alors qu'il est encore plus important pour elles d'avoir des rapports non protégés... parce que leur désir plus ou moins implicite d'enfants peut être aujourd'hui réalisé. Dans l'année écoulée, j'ai vu une dizaine de femmes séropositives arriver enceintes avec un futur enfant de père inconnu ». Convaincre et faciliter le dialogue pour aider l'autre à s'exprimer, c'est le problème du couple : « Et cela n'a rien à voir avec le sentiment parce que plus il est fort, plus la difficulté est grande car l'autre anticipe un rejet », conclut l'infectiologue.
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