La maladie d’Alzheimer, qui est la cause principale des démences, occupe aujourd’hui une place essentielle dans les préoccupations de santé publique. Aux États-Unis, 5,2 millions d’Américains en sont affectés à ce jour, et ce chiffre devrait atteindre 16 millions en 2050. Les dépenses de santé pour cette maladie dépasseront alors celles des maladies cancéreuses.
Toutes les études épidémiologiques, notamment Entred, notent également l’augmentation de la prévalence et de l’incidence du diabète chez les personnes âgées, du fait de la modification de notre mode de vie et de l’allongement de l’espérance de vie.
Ainsi, la co-existence d’une démence et d’un diabète est devenue une situation particulièrement fréquente ce qui a justifié plusieurs mises au point lors du dernier congrès de l’American Diabetes Association. En effet, les relations entre le diabète, l’insulinorésistance, les hypoglycémies, le déclin cognitif et les démences s’avèrent discutées et particulièrement complexes.
Des physiopathologies intriquées (1)
Les mécanismes responsables du déclin cognitif des diabétiques sont multiples, faisant intervenir le niveau glycémique et ses fluctuations, l’existence d’hypoglycémies sévères et les facteurs de risque cardiovasculaire (tout particulièrement l’HTA). Plusieurs travaux ont également démontré le rôle joué par l’insulinorésistance. Celle-ci est associée à une majoration de 40 % du risque de maladie d’Alzheimer à 3 ans dans la Rotterdam study, et à une atrophie du lobe temporal – qui est la zone préférentiellement touchée dans la maladie d’Alzheimer.
De nombreuses études ont mis en évidence des mécanismes physiopathologiques communs entre la maladie d’Alzheimer, l’obésité et le diabète de type 2. L’inflammation chronique de bas grade, l’insulinorésistance et l’altération du fonctionnement mitochondrial sont ainsi des caractéristiques communes entre le diabète de type 2 et la maladie d’Alzheimer, à l’origine d’altérations tissulaires périphériques mais aussi cérébrales (altération du signal de l’insuline et détérioration synaptique). La perte du signal de l’insuline au niveau cérébral entraîne des effets cérébraux délétères, directs mais aussi indirects. Les effets indirects font intervenir la diminution de la synthèse du cholestérol (indispensable au métabolisme neuronal), l’altération du fonctionnement mitochondrial (à l’origine d’une augmentation du turn over de la dopamine, favorisant la dépression) et enfin la régulation de la phosphorylation de la protéine tau et la clairance de la protéine amyloïde via la voie de la protéine kinase GSK3.
Les hypoglycémies sont responsables de troubles cognitifs...
Les relations entre les hypoglycémies sévères et les complications du diabète sont discutées, notamment depuis les résultats de l’étude ACCORD. La survenue d’une hypoglycémie sévère semble constituer un marqueur de fragilité expliquant la surmortalité de ces malades. Cependant, une hypoglycémie sévère est susceptible de constituer directement la cause du décès, par l’intermédiaire de troubles du rythme ventriculaire.
Les conséquences des hypoglycémies sur les fonctions cognitives sont redoutées à juste titre chez les diabétiques âgés. Les hypoglycémies sévères, survenues entre 55 et 65 ans semblent bien constituer un facteur de risque d’apparition d’une démence après 20 ans d’évolution. En revanche, les conséquences des hypoglycémies mineures, mêmes répétées, sont mal connues mais paraissent minimes. Ce risque hypoglycémique, notamment chez les sujets âgés, ne doit toutefois pas constituer un argument pour un laxisme dans les objectifs glycémiques, qui doivent être fixés individuellement en fonction du terrain et de la fragilité des malades.
Les hypoglycémies sévères semblent bien entraîner une altération des fonctions cognitives chez les enfants présentant un diabète de type 1. Toutefois, les résultats de l’étude Epidemiology of Diabetes
Interventions and Complications (EDIC), le suivi prospectif de l’étude Diabetes Control and Complications Trial (DCCT), sont rassurants, puisqu’il n’existe aucune différence entre les deux bras en dépit d’une augmentation de la fréquence des hypoglycémies dans le groupe traité de façon intensive.
... et les démences favorisent les accidents hypoglycémiques chez les diabétiques
Les démences constituent, par elles-mêmes, un facteur de risque important dans la survenue d’hypoglycémies sévères, en raison du caractère aléatoire de l’alimentation de ces malades et des erreurs dans l’observance du traitement. La reconnaissance des manifestations cliniques des hypoglycémies est difficile chez les malades présentant une démence, pouvant conduire à l’instauration d’un traitement psychotrope inadapté. C’est pourquoi la constatation d’un taux particulièrement bas d’HbA1c doit faire suspecter des épisodes hypoglycémiques passés inaperçus ce qui est loin d’être rare, notamment chez les patients socialement isolés, mais aussi en EHPAD.
** Clinique médicale, Villecresnes
*** CHU de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre
**** Hôpital Saint-Julien, CHU de Rouen
L’étude GERODIAB bénéficie d’une subvention de la Fondation Novo-Nordisk et des laboratoires Merck-Serono, d’une allocation recherche de la SFD et d’un Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) national.
(1) De Felice FG, Ferreira ST. Inflammation, defective insulin signaling, and mitochondrial dysfunction as common molecular denominators connecting type 2 diabetes to Alzheimer disease. Diabetes 2014;63:2262-72.
(2) Doucet J, Le Floch JP, Bauduceau B, Verny C; SFD/SFGG Intergroup. Diabetes Metab. GERODIAB: Glycaemic control and 5-year morbidity/mortality of type 2 diabetic patients aged 70 years and older: 1. Description of the population at inclusion. 2012;38:523-30.
(3) Bauduceau B, Doucet J, Le Floch JP, Verny C; SFD/SFGG Intergroup and the GERODIAB Group.Cardiovascular events and geriatric scale scores in elderly (70 years old and above) type 2 diabetic patients at inclusion in the GERODIAB cohort. Diabetes Care 2014;37:304-11.
exergues en option:
- Insulinorésistance : + 40 % de risque d’Alzheimer dans la Rotterdam study
- Le risque hypoglycémie ne doit pas constituer un argument pour un laxisme dans les objectifs glycémiques
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