Pour le Pr Philippe Jeammet, psychiatre et psychanalyste, la pathologie de l’adolescence peut être lue comme une conséquence de la déception, nourrie d’une attente insupportable des autres. Face à cela, le psychothérapeute ne peut plus se contenter d’une neutralité attentive car, lorsque la demande est trop puissante, elle ne peut plus avoir lieu, mais il doit, au contraire, fournir une réponse active et engagée.
SELON LE Pr PHILIPPE JEAMMET, «cette période de déshabillage où il faut quitter les oripeaux de l’enfance pour revêtir les habits de l’adulte est tout autant un révélateur de l’enfance que des courants qui animent les adultes». En ce sens, l’adolescence nous apprend beaucoup sur la psychothérapie en général, une pratique fondée essentiellement sur la qualité relationnelle et la mise en jeu de processus cognitifs permettant d’aboutir à un changement de l’individu. Ce tournant de la vie particulièrement désagréable «où tout est à faire, tout est à construire» est en effet caractérisé par l’attente. Une attente qui peut être, pour certains, insoutenable tant elle engendre d’anxiété et montre la place cruciale qu’occupe, chez l’être humain, la conscience de soi. A l’instar du paradoxe que celle-la produit – être soi nécessite de se nourrir de l’échange, mais aussi de se différencier de l’autre –, se place en effet la problématique de la psychothérapie : comment créer un lien qui ne soit pas vécu comme une menace ? Un danger réel car, dès lors qu’un être est important pour nous, il acquiert dans le même temps un pouvoir sur nous. Ce d’autant que la société actuelle renforce cette situation par la liberté qu’elle procure. Si, comparativement à la coercition qui prédominait aux époques précédentes, la liberté apporte certainement un plus, ses bénéfices ne prennent corps que si le sujet possède suffisamment de sécurité interne, de référents, de valeurs. Dans le cas contraire, c’est une insécurité, une inquiétude qui finissent par l’assaillir, tant la liberté est alors «vécue comme une menace permanente pour le moi» car elle nécessite de faire appel à ses ressources intérieures. Mais la grande question qui pointe est alors : ai-je la capacité de faire face à tous ces possibles ?
Contre la neutralité.
C’est pourquoi, dit Philippe Jeammet, « il ne peut y avoir de psychothérapie neutre ». Le temps n’est plus où la psychothérapie était conditionnée par la demande de l’intéressé, a fortiori un adolescent à qui tous les adultes disent aujourd’hui qu’ils l’écoutent, ce qui n’a plus de valeur de liberté, car ce que les ados ont montré c’est que « plus il y a demande, moins on peut demander », tant l’attente est insupportable à montrer. Comme le précise encore P. Jeammet, le territoire de l’homme est bien plus large que celui de l’animal, notamment parce qu’il inclut la représentation que l’on a de soi et que l’on pense qu’ont les autres de nous. Et que nous révèlent les ados ? Une clinique de la déception. Si l’une des façons de maîtriser celle-ci peut être l’effondrement, autrement dit la dépression, il y a toujours, pour tout être humain, une revanche possible lorsqu’il se sent impuissant, celle de détruire, qu’il s’agisse de lui-même ou des autres. La destruction et l’échec, « toujours à portée de main », sont de fait une tentation permanente pour l’homme alors « qu’on ne maîtrise jamais le plaisir et la réussite ». Un choix qui peut parfois peser lourdement sur l’avenir lorsque l’adolescent, entraîné par cette attente extrême et la déception qu’elle provoque, devient de plus en plus environnement-dépendant et donc passif et fragile ce qui renforce davantage sa propension à la destruction.
Pour le Pr P. Jeammet, il s’agit là d’une problématique bien plus narcissique que pulsionnelle, « d’une problématique de survie d’un moi menacé qu’il faut à tout prix remaîtriser ». Or la conséquence de cette situation est in fine la perte de tout désir. C’est le même phénomène qui se produit dans l’état amoureux lorsque l’attente trop longue de l’être cher finit par conduire au déplaisir et au renoncement. Et c’est à la même situation que se heurte le psychothérapeute et devant laquelle le Pr Jeammet propose une prise en charge bifocale, dans laquelle un intervenant doit jouer le rôle de référent, de garant du projet thérapeutique. Aujourd’hui, il ne s’agit plus pour le thérapeute, d’être en attente d’une demande surtout lorsqu’elle émane d’un adolescent. L’environnement, et le psychothérapeute en particulier, doit en effet fournir une réponse active à un sujet qui « craint de ne plus être maître de lui du fait même de cette conscience de soi ». Un sujet dont toute la pathologie peut être comprise comme une forme de « cramponnement » en réponse à la peur. Le psychothérapeute ne peut être qu’un simple accompagnant, car il est engagé dans une certaine représentation de ce qu’est l’homme et de ce qui l’anime. A cet égard, P. Jeammet nous dit qu’il est de plus en plus appelé à expliquer aux jeunes le sens de sa démarche : « être un homme, c’est pouvoir se contrôler, et se contrôler, c’est choisir et ne pas devenir son propre bourreau. Ce n’est pas être comme le taureau dans l’arène, victime des manipulations de l’environnement du fait des émotions que cet environnement déclenche ». Par la possibilité qu’elle offre, la psychothérapie apporte, face à cela, un souffle de liberté, une liberté qui ne prend cependant sens que dans la notion de partage et réclame de fait « une relation de plaisir à se nourrir réciproquement ».
D’après la communication de Philippe Jeammet, institut mutualiste Montsouris, Paris : « Psychothérapies de l’adolescent ».
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