ALAIN JUPPÉ ne méritait pas d'être privé de son éligibilité : tout le monde sait qu'il n'a pas inventé le système dont il a hérité quand il est arrivé à la Mairie de Paris et qu'il a tenté de le réformer : toutes ses déclarations au procès témoignent de sa loyauté à Jacques Chirac, car il lui aurait été facile d'impliquer le maire de l'époque pour mieux se disculper lui-même.
On a eu l'occasion de critiquer sans ménagements la politique économique et sociale qu'il a mise en œuvre quand il était Premier ministre, on ne saurait nier à cet homme ses qualités : courage, fermeté, y compris devant l'adversité, intelligence et fidélité à ses amis politiques.
UN SEUL HOMME POUVAIT SE METTRE EN TRAVERS DU CHEMIN DE SARKOZY : JUPPÉ
Privé de son destin politique.
Il paie très cher aujourd'hui la protection qu'il a offerte spontanément au président de la République, lequel ne peut être qu'embarrassé, et même consterné, par les mésaventures - dont il est probablement responsable - d'un homme qui lui inspire estime et amitié et s'est sacrifié pour lui.
Certes, M. Juppé peut obtenir en appel un adoucissement de la sentence qui lui permettrait de poursuivre sa carrière. Le jugement ne se contente pas de le condamner, il le prive d'un destin auquel il pouvait raisonnablement aspirer après une carrière brillante, notamment quand il occupait le poste de ministre des Affaires étrangères. Et s'il a soulevé beaucoup de tempêtes lorsqu'il dirigeait le gouvernement, c'est aussi parce qu'il était confronté à une conjoncture détestable.
Cependant, si le jugement est confirmé en appel, M. Juppé a déjà pris l'engagement de mettre un terme à ses activités politiques. Il n'est pas homme à trahir sa parole. Et dans ce cas, on devine que son retour à la vie civile priverait Jacques Chirac d'une pièce maîtresse dans la partie d'échecs qu'il devra bien jouer en 2007. Rien n'interdit au président de la République de se présenter pour un troisième mandat de cinq ans ; mais si l'on écarte cette hypothèse on sait parfaitement qui sera le candidat de la droite : Nicolas Sarkozy, qui ne cache pas ses ambitions (et même les affiche) et n'est pas loin de mettre au défi M. Chirac lui-même, persuadé qu'il est que les Français préféreront le ministre de l'Intérieur à un président qui aura accompli deux mandats et ne sera pas, forcément, de la plus grande fraîcheur.
Un seul homme pouvait se mettre en travers du chemin de M. Sarkozy : Alain Juppé. Le maire de Bordeaux avait (a encore) trois ans devant lui pour améliorer son image et, dans cet effort, il aurait reçu le soutien inaltérable du président, qui le lui doit bien, et n'aurait pas manqué de payer sa dette.
Un solitaire.
Il n'y a pas entre Chirac et Sarkozy cette qualité de relation qui existe entre Chirac et Juppé. Le ministre de l'Intérieur, au fond, est un solitaire, qui n'est UMP que parce que c'est son camp naturel mais qui a une vision plus ouverte que les dogmes d'un parti politique. Ses idées sur la discrimination positive, son hostilité à peine cachée à l'interdiction du port du voile, sa façon de dialoguer avec des intégristes ne correspondent pas vraiment à la ligne de l'UMP.
Balladurien par raison, puis redevenu chiraquien par nécessité, il a gardé, dans le camp des purs et durs de la chiraquie, son image de « traître ». Cette image, il la soigne à sa manière en multipliant les provocations sans craindre, quelquefois, de sombrer dans le crime de lèse-majesté. Le respect de la hiérarchie ne l'étouffe pas. C'est tout juste s'il se rappelle que Jean-Pierre Raffarin est Premier ministre et il a l'air de dire aux Français, presque chaque jour, que grâce à lui, il y a une vie après Chirac.
Si, en définitive, M. Sarkozy se présente à la présidence de la République, il s'adressera aux Français dans leur ensemble et ne se réclamera pas particulièrement de la droite. Tout ce qui compte, c'est qu'ils savent qu'avec lui, ça marche. Certes, en quatre ans, n'importe quel accident peut survenir, surtout quand on roule vite. Mais il est plus que probable que Nicolas Sarkozy se présentera comme un rassembleur et qu'il est en mesure d'obtenir des voix de gauche et d'extrême droite. Il se dressera alors contre Chirac comme il s'est dressé contre lui en 1995 en choisissant Balladur.
Une mise à l'écart d'Alain Juppé faciliterait encore plus sa tâche. Quand M. Raffarin se sera épuisé à faire des réformes impopulaires, quand le PC disparaîtra de la ligne d'horizon, quand la gauche arrivera à l'échéance présidentielle sans avoir gagné en crédibilité, quand M. Chirac aura presque 75 ans (ce qui n'est pas une tare, mais n'est pas non la prime jeunesse), quand on cherchera un homme à poigne, on trouvera Sarkozy, qui aura dompté l'UMP, laquelle ne sera plus pour lui une hypothèque, mais un tremplin.
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