Le Temps de la médecine :
La mort en face
Signe d'une captation de la mort dans la sphère de l'intime au détriment de la sphère sociale, la pratique de la crémation progresse en France. Si l'on est encore loin des chiffres de l'Europe du Nord où l'influence protestante est forte (plus de 50 % des obsèques), elle concerne désormais plus de 100 000 décès, soit 20 % des obsèques en 2002. En 1980, moins d'une famille sur cent choisissait la crémation comme pratique funéraire. Elles sont aujourd'hui une sur cinq. Parallèlement, les infrastructures ont été développées. La France comptait sept crématoriums en 1975, on en dénombre quinze fois plus aujourd'hui (104 à la fin de 2002).
Les raisons pour expliquer l'introduction de cette pratique sont diverses. Bien que les taux de crémation les plus élevés (30 %) se retrouvent dans l'Est (Alsace, Lorraine et Provence-Côte d'Azur) et les plus faibles (moins de 8 %) dans des régions plus catholiques comme l'Auvergne ou la Picardie, la relative libéralisation du discours de l'Eglise catholique, qui tolère cette pratique depuis le concile Vatican II en 1963, a vraisemblablement joué son rôle. Au-delà, « l'éclatement géographique des familles, l'urbanisation, le fait que l'on meure aujourd'hui très majoritairement à l'hôpital ont pour conséquence que les relations sociales du défunt sont moins souvent associées aux obsèques, qui deviennent ainsi plus "privées" , ce qui joue en faveur de la crémation », explique Jean-Pierre Loisel dans une étude du CREDOC sur le sujet. Le rapport avec le corps s'est aussi modifié : les connaissances scientifiques lui ont enlevé son caractère mystérieux et sacré et la société a désormais une vision hygiéniste qui fait préférer la disparition immédiate à la lente décomposition. Parmi les autres critères avancés pour expliquer ce choix : le coût des obsèques moins élevé. Une crémation coûte environ 2 000 euros en moyenne pour des obsèques simples, 30 % de moins que l'inhumation (hors concession et services optionnels).
Toutefois, la crémation est caractérisée par un vide persistant. A la fois sur le plan juridique, pratique et rituel. Depuis 1976, la France bénéficie en effet d'une des réglementations les plus souples d'Europe et est par bien des aspects paradoxale. Les cendres doivent être remises aux proches dans une urne cinéraire munie d'une plaque portant l'identité du défunt et le nom du crématorium. Mais la famille peut ensuite en disposer librement : soit déposer les cendres dans un colombarium, une sépulture cinéraire, ou dans la sépulture familiale ; soit les conserver dans une urne à domicile, les répandre à l'intérieur de certains cimetières sur une pelouse appelée le jardin du souvenir ou dans la nature (jardin, parc, air, mer...). Seule la dispersion sur la voie publique est interdite. Or, sur les quelque 50 000 cimetières existant en France, moins de 10 % sont équipés d'un columbarium, d'un jardin du souvenir, d'un coin aménagé pour recevoir les urnes ou les cendres. Souhaitée par le défunt, la crémation est parfois très mal vécue par ses proches. D'autant que la disparition du corps est brutale (en moins de deux heures, il est réduit en cendres).
De nouveaux rituels
Face à cet univers neuf que les familles affrontent sans expérience, sans connaissance, il est apparu nécessaire d'inventer de nouveaux rituels. Pour réhumaniser le rituel de l'incinération, certaines entreprises de pompes funèbres comme OGF se sont lancées depuis quelques années dans l'orchestration de cérémonies de « passage » avant le début de la crémation, et « en présence du défunt », au sein des crématoriums. Objets (tableaux, livres...), lectures de textes, poèmes, morceaux de musiques peuvent accompagner ce dernier adieu. S'il s'agit d'une cérémonie religieuse, une prière est dite par un membre de l'équipe laïque de la paroisse suivie par des lectures de textes bibliques ou profanes. S'ensuit un partage d'intention, puis éventuellement la bénédiction du corps. Les salles ont aussi été réaménagées de façon que les proches ne voient plus le cercueil entrer dans l'appareil. Et les opérateurs funéraires proposent de conserver les urnes dans la limite d'un mois afin de permettre aux familles de prendre le temps de réfléchir à la destination des cendres.
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