« Une certaine harmonie épouvantée et sombre » : préfaçant, des années après les avoir écrits, la publication de ce qu'il nomme des « petits drames », Maurice Maeterlinck, se relisant avec sévérité, admet que « La Princesse Maleine » (1889) possède une qualité, cette harmonie « épouvantée et sombre ».
Yves Beaunesne s'en est souvenu, dont le spectacle pourrait être tout entier contenu dans cette belle formule. La scénographie de Thibault Vancraenenbroek (un grand plateau en pente occupé au centre par un énorme tunnel, bouche d'enfer, corridor inquiétant), les lumières de Jean Tartaroli, les costumes somptueux de Patrice Cauchetier, la musique si discrètement dosée de Gilbert Gandil comme le travail si pertinent sur les sons de Christophe Sechet, tout participe d'un même envoûtement doux et lugubre, terriblement mortifère comme l'est cette histoire vénéneuse que Maeterlinck écrivit, à la manière de Shakespeare et en empruntant à Grimm et à Poe, pour un théâtre de marionnettes. Mallarmé ne s'y trompa pas. Non plus que Mirbeau, qui plaça le jeune homme au-dessus même de son modèle élisabéthain.
Mettre en scène Maeterlinck est difficile et appelle des décisions radicales qu'Yves Beaunesne impose avec une infinie délicatesse aux remarquables acteurs qu'il a réunis. Les mouvements sont chorégraphiés subtilement (Nasser Martin-Gousset), la diction est d'une musicale précision tout en audaces qui arrachent la représentation aux risques doucereux des vers libres déguisés en prose. Il s'agit ici de fidélité à une encre et d'interprétation. Chacun s'y soumet avec une admirable intelligence : Roland Bertin, inquiétant et vulnérable à la foi, Dominique Valadié, composant la reine terrible comme la bouleversante, transparente, immatérielle à force de finesse, Maleine d'Audrey Bonnet, tout le monde est merveilleusement accordé au drame si particulier, au monde si étrange de Maeterlinck. Ainsi, dans un autre registre, Thierry de Carbonnières et John Kokou, faux jumeaux entreprenants, ainsi les Béguines, Laure Bonnet, Anne-Catherine Chagrot, Rebecca Finet. Ainsi Florian Goetz, le prince Hjalmar, Astrid Bas, Uglyane, Nicole Colchat, Godelive, la mère fantômatique de Maleine. Tous sont d'une densité et d'un tact touchants, tels Claire Wauthion, la nourrice si moëlleuse, si humaine ou encore, personnages plus furtifs, Freddy Sicx, Cédric Vieira. Mêmes les enfants (Théodul Carré-Cassaigne, le soir où nous avons vu le spectacle) savent se plier à la stricte discipline qu'appelle le poète.
« Longtemps encore, toujours peut-être, nous ne serons que de précaires et fortuites lueurs, abandonnées sans dessein appréciable à tous les souffles d'une nuit indifférente », écrivait l'auteur de « La Vie des abeilles »... Dans « La Princesse Maleine », on est au cur de la métaphysique. Mais poétiquement.
Théâtre national de la Colline, du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30. Durée : 2 h 10 sans entracte (01.44.62.52.52.). Jusqu'au 21 décembre. Après la représentation du 27 novembre, débat avec le public. Les textes de Maurice Maeterlinck sont en vente à la librairie du théâtre.
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