PAR le pr MARTINE HENNEQUIN*
LA CLASSIFICATION internationale des fonctionnements (CIF) inclut la mastication parmi les fonctions des systèmes digestif, métabolique et endocrinien, et la définit plus particulièrement avec les fonctions d'ingestion (tableau 1).
Pathologies neuromusculaires et mastication.
L'interaction entre l'état neuromusculaire et la mastication est bien illustrée par la haute prévalence des troubles de la mastication et de la déglutition chez les personnes qui présentent une pathologie neuromusculaire dégénérative, ou congénitale. De plus, le jeu des interactions entre la forme et la fonction explique pourquoi ces maladies sont associées à des dysmorphies orofaciales, qui modifient les rapports dentaires et aggravent les troubles de la mastication en intervenant également sur le facteur dentaire.
Denture et mastication.
Le rôle joué par la denture lors de la phase orale de la digestion est essentiel, et les interactions entre l'état dentaire, l'efficacité masticatoire et les troubles nutritionnels ont été bien décrits chez l'adulte en bonne santé et pour différentes populations présentant des déficiences, en particulier chez les personnes édentées ou appareillées. Si le rôle mécanique des dents en tant qu'outil de broyage des aliments semble évident, leur rôle lors de la déglutition est rarement décrit et leur rôle neurosensoriel est pratiquement ignoré.
Denture et dégradation du bol.
Le lien entre déficience masticatoire et qualité des contacts interarcades lors de la prise d'occlusion a largement été démontré. Les sujets présentant une surface de contact dentaire la plus importante sont également ceux qui présentent la plus grande capacité à réduire les aliments en petites particules. Cette dégradation mécanique augmente la surface de l'aliment accessible pour la digestion ainsi que l'absorption des glucides. Un capital intact de trente-deux dents n'est cependant pas indispensable à une mastication efficace. Lorsque le nombre de dents diminue, l'organisme peut adapter son comportement masticatoire en réalisant plus de cycles ou en augmentant le temps de mastication de manière à produire malgré tout un bol alimentaire compatible avec la déglutition. Cependant, lorsque les contacts dentaires sont trop peu nombreux, ou qu'ils sont mal répartis, ces mécanismes d'adaptation peuvent se révéler insuffisants, et le sujet peut être conduit à sélectionner des aliments mous de manière à n'avoir recours qu'à des praxies d'écrasement de l'aliment avec la langue contre le palais, sans nécessiter le broyage. En dessous de quatre couples dentaires fonctionnels, les aliments doivent être préparés en purée.
Denture et déglutition.
La denture joue également un rôle lors de la déglutition. En effet, la stabilisation de l'os hyoïde et le mouvement ascendant du larynx qui permettent de gérer le passage du bol vers le sphincter supérieur de l'oesophage ne sont possibles que si la mandibule est elle-même stabilisée. Cette stabilité est obtenue lors d'une prise d'occlusion dentaire, pour chaque déglutition. En l'absence de dents, le sujet stabilise sa mandibule en interposant sa langue entre ses arcades. Dans les situations où la mandibule n'est pas stabilisée, l'épiglotte, sollicitée par les mouvements de l'os hyoïde, ne peut obturer parfaitement l'orifice trachéal et des fausses routes peuvent alors survenir.
Par ailleurs, la denture joue également un rôle indirect dans la déglutition, dans la mesure où elle permet une activité musculaire importante, en contraction isométrique, qui stimule la production salivaire. Les dents participent ainsi à la constitution d'un bol cohésif et plastique susceptible de passer rapidement et sans se fractionner le carrefour aérodigestif.
Denture et contrôle neuromoteur de la mastication.
Le rôle sensoriel de la denture est lié à la présence des mécanorécepteurs péridentaires qui apparaissent et disparaissent avec la dent. Ces récepteurs sont activés dès le premier contact de l'aliment avec les dents et complètent les informations relatives à la forme et à la texture de l'aliment, qui ont préalablement été fournies par d'autres récepteurs présents dans les gencives, les lèvres et la langue. Les signaux émis par ces récepteurs s'intègrent dans les processus cognitifs et permettent au sujet de définir la stratégie de mastication adéquate en fonction de l'aliment. Les mécanorécepteurs dentaires sont plus particulièrement destinés à percevoir les modifications des caractéristiques rhéologiques de l'aliment en cours de dégradation pour induire à chaque cycle de mastication une réponse motrice adaptée. Ce rôle dans le contrôle neuromoteur de la mastication est absolument essentiel. Les personnes qui portent des prothèses dentaires et qui n'ont plus de mécanorécepteurs péridentaires ont plus de difficultés à adapter leur mastication aux variations de texture de l'aliment, même si leurs prothèses sont bien adaptées.
Mastication et comportement alimentaire.
Toute situation clinique susceptible de modifier le nombre et l'étendue des contacts interarcades peut induire une déficience masticatoire. Ainsi, les lésions dentaires et les malpositions sont associées à des déficiences masticatoires.
Cette altération de la capacité masticatoire est due en partie à la diminution de la surface de broyage et en partie à un appauvrissement des informations sensorielles transmises au cours de la mastication.
Le sujet peut alors soit modifier son comportement masticatoire, soit modifier son comportement alimentaire ou faire un compromis de ces deux situations. Les phénomènes d'adaptation sont caractérisés par des modifications du nombre de cycles masticatoires ainsi que du temps de mastication, alors que le sujet continue à consommer le même type d'alimentation. Les phénomènes de compensation sont caractérisés par un changement de stratégie masticatoire, le sujet essayant de dégrader l'aliment en utilisant d'autres praxies buccales, par exemple en utilisant ses dents antérieures ou sa langue pour mastiquer. Le bol alimentaire produit dans ces conditions peut être dégluti, mais il ne possède pas les caractéristiques de granulométrie, de plasticité et de cohésion requises pour son assimilation. Enfin, lorsque les processus d'adaptation ou de compensation sont débordés, le sujet est contraint à modifier ses choix alimentaires. Or ces choix sont également sous la dépendance d'autres facteurs et, en particulier, de facteurs socioculturels qui sont très puissants et difficiles à modifier. Les sujets qui ne peuvent plus mastiquer choisissent des aliments plus mous, ou plus cuits, mais ils les sélectionnent dans la gamme des aliments qui leur sont habituels, sans la diversifier. De ce fait, la déficience masticatoire a un effet d'appauvrissement du régime alimentaire habituel et se traduit par des déficits en vitamines et en sels minéraux.
Conséquences nutritionnelles.
Les conséquences d'un mauvais état dentaire sur le statut nutritionnel peuvent être très différentes, selon les processus d'adaptation ou de compensation que l'individu est susceptible de mettre en place. Ainsi, une déficience masticatoire liée à un mauvais état bucco-dentaire ne se traduit pas forcément par un état de malnutrition, comme on peut le voir chez certains enfants polycariés, mais peut aussi induire une surcharge pondérale si les individus concernés compensent leur incapacité à mastiquer en sélectionnant des aliments mous, riches en hydrates de carbone et en lipides, et pauvres en vitamines et en sels minéraux.
Ainsi, les personnes qui ont moins de 21 dents naturelles ont trois fois plus de risque de devenir obèses que celles qui ont entre 21 et 32 dents.
* Faculté de chirurgie dentaire, université d'Auvergne, EA3847 et CHU de Clermont-Ferrand.
Définitions des fonctions d'ingestion
Selon la classification internationale de fonctionnements, du handicap et de la santé (OMS, Genève), les fonctions d'ingestion sont décrites parmi les fonctions relatives au système digestif, elles-mêmes répertoriées dans le paragraphe des fonctions des systèmes digestif, métabolique et endocrinien.
Sucer : fonction relative à l'absorption des aliments dans la bouche par la succion produite par le mouvement des joues, des lèvres et de la langue.
Mordre : fonction relative au fait de couper, percer ou déchirer les aliments à l'aide des dents antérieures
Mastiquer : fonction relative au fait d'écraser et de travailler les aliments avec les dents postérieures.
Manipuler les aliments dans la bouche : fonction relative à la mobilisation des aliments dans la bouche par les dents et la langue.
Saliver : fonction relative à la production de salive dans la bouche.
Déglutir : fonction relative à l'évacuation des aliments et des liquides au travers de la bouche, du pharynx, de l'oesophage vers l'estomac, à une vitesse appropriée. Comprend les dysphagies orales, oropharyngées ou oesophagiennes, les dysfonctions lors du passage oesophagien des aliments.
Roter et vomir : fonctions relatives au fait de mobiliser les aliments ou les liquides dans le sens inverse de l'ingestion, de l'estomac vers l'oesophage, vers la bouche et en dehors.
http:/www3.who.int/icf/icftemplate.cfm
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