DE NOTRE CORRESPONDANTE À NEW YORK
LA DEMENCE fronto-temporale (DFT) est la seconde cause de démence dégénérative après la maladie d’Alzheimer. Elle résulte d’une dégénérescence des régions frontales et/ou temporales et se manifeste par des anomalies progressives du comportement, de la personnalité (apathie ou désinhibition) et du langage, tandis que la mémoire, à l’inverse de la maladie d’Alzheimer, reste longtemps préservée. Dans 35-50% des cas, il existe des antécédents familiaux de démence.
En 1996, des formes familiales ont été liées au chromosome 17. Deux ans plus tard, l’équipe du Dr Mike Hutton (Mayo Clinic, Floride) découvrait que des mutations du gène Mapt (Microtubule-Associated Protein tau), qui code pour la protéine tau, sont responsables d’une forme familiale liée au chromosome 17. Cette forme est associée à un parkinsonisme et se caractérise histologiquement par des inclusions neuronales tau positives (composées de protéines tau hyperphosphorylées).
La même région du chromosome 17.
Toutefois, de nombreuses familles atteintes de démence fronto-temporale liée à la même région du chromosome 17 (17q21) n’ont aucune mutation de Mapt, ni d’inclusion neuronale tau positive. Ces familles présentent, en revanche, des inclusions neuronales (cytoplasmiques et nucléaires) positives pour l’ubiquitine. Les chercheurs ont donc poursuivi leur quête d’un ou de plusieurs autres gènes responsables.
Deux équipes rapportent la découverte de ce gène dans la revue « Nature ».
Le groupe de Mike Hutton (Mayo Clinic), en collaboration avec des chercheurs canadiens et britanniques, ont analysé plus de 80 gènes de la région 17q21 dans une famille canadienne atteinte, pour enfin découvrir une mutation du gène de la progranuline. Ces médecins ont ensuite analysé ce gène ( Pgnr) dans plus de 40 autres familles porteuses de DFT tau négative, et ont identifié 7 autres mutations dans 8 familles d’origine américaine ou européenne. Toutes les mutations inactivent une copie du gène, ce qui réduit de moitié la production de la progranuline.
L’équipe du Dr Christine van Broeckhoven (université d’Antwerp, Belgique) démontre également, en étudiant une famille hollandaise et une grande famille belge fondatrice, que la démence fronto-temporale liée au chromosome 17 et ubiquitine positive est due à des mutations du gène de la progranuline. Ces mutations entraînent l’absence de traduction de l’allèle, ce qui réduit de 50 % la production de progranuline.
En outre, en étudiant une série de 103 patients belges, l’équipe a constaté que le gène muté de la progranuline explique 11 % de l’étiologie génétique de l’affection et 25 % de la DFT familiale. A l’inverse, des mutations de Mapt rendent compte de 3 % des DFT et de 7 % des DFT familiales dans cette série. Ainsi, les mutations du gène de la progranuline sont en cause dans la DFT des patients belges 3,5 fois plus souvent que les mutations de la protéine tau.
Le gène muté de la progranuline.
«Bien que la fonction jouée par la progranuline dans les neurones n’ait pas encore été déterminée, nos résultats suggèrent que la progranuline est essentielle pour la survie neuronale, et que sa perte même partielle peut conduire à la neurodégénérescence, observe l’équipe de Mike Hutton. Cela étaye l’hypothèse plus générale selon laquelle une perte de soutien par les facteurs de croissance peut causer une maladie neurodégénérative.»
La progranuline, exprimée dans de nombreux tissus, joue un rôle dans le développement, la cicatrisation et l’inflammation en activant des voies de signalisation qui contrôlent la progression du cycle cellulaire et de la mobilité. Elle stimule la production d’autres facteurs de croissance dont le Vegf. Et, tandis que la perte partielle de progranuline semble provoquer une neurodégénérescence chez l’adulte, des taux accrus ont été liés à la progression de nombreux cancers.
Accumulation de protéines spécifiques.
Comme le remarque le Dr Hutton, le mécanisme découvert ici diffère de ceux trouvés jusqu’à présent dans les autres maladies neurodégénératives courantes. «Ce que nous voyons là est une maladie causée simplement par la perte de progranuline.» D’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson et même la DFT causée par des mutations de la protéine tau, sont caractérisées par une accumulation de protéines spécifiques dans les neurones.
Ce mécanisme de neurodégénérescence oriente vers la possibilité d’un traitement. «Remplacer la progranuline constitue l’approche thérapeutique évidente», déclare le Dr Hutton. Cela serait être possible par thérapie génique ou, si l’on comprend mieux les processus régulant l’expression de la progranuline, par l’augmentation de l’expression de l’unique copie du gène. Toutefois, le défi sera de restaurer la quantité adéquate, puisque trop de progranuline peut conduire à la formation de tumeurs.
Dès lors que la progranuline semble jouer un rôle important dans la survie neuronale, l’équipe de Mike Hutton veut savoir si une variabilité du gène de la progranuline influe sur le risque d’avoir la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson. Ils vont voir, par exemple, si des variants fréquents du gène de la progranuline peuvent conférer une protection contre la maladie d’Alzheimer, en aidant les neurones à surmonter les dégâts causés par l’accumulation de bêta amyloïde.
Baker et coll., Cruts et coll. « Nature » 16 juillet 2006, DOI : 10.1038.
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