C'est la guerre, pas de quartier : dans les deux camps, celui de Chirac et celui de Jospin, on a vite fait d'abandonner le sens de la nuance.
Pour Michèle Alliot-Marie, la déclaration de candidature de M. Jospin dans un fax à l'AFP témoigne d'une désinvolture scandaleuse à l'égard de ses concitoyens. Pourquoi ne pas admettre que c'était la façon la plus simple, la moins théâtrale, la plus respectueuse de la démocratie, d'annoncer qu'il briguait la présidence de la République. Il a pris soin de ne pas utiliser la pompe et les ors des palais de la République, d'oublier sa fonction pendant une heure, d'envoyer le message de chez lui : n'est-ce pas là l'humilité qui convient à un candidat soucieux d'atténuer la prétention et l'arrogance de son entreprise ?
De la même manière, comment le candidat Jospin peut-il dire qu'il n'est pas socialiste ? On veut bien qu'il tente de convaincre le patronat et les riches qu'il est une bonne affaire pour eux aussi, qu'il s'efforce, comme tout bon candidat, de ratisser large ; il se lance néanmoins dans cet exercice périlleux avec un brin d'hypocrisie. C'est le coup de la « fracture sociale », mais à l'envers. Mais bien sûr que M. Jospin est socialiste et tout ce qu'il a fait pendant cinq ans en témoigne. Si on commence par des mensonges tellement gros qu'ils crèvent les yeux, bonjour la démagogie. Pas socialiste, mais moderne, dit-il. D'une part, il est curieux que l'ancien premier secrétaire du PS oppose les deux termes ; d'autre part, la référence de la semaine de 35 heures, ce sont les congés payés de Léon Blum, il y a plus de soixante ans. Ne nous a-t-on pas serinés que « c'est toujours comme ça avec le patronat, qui était aussi hostile aux congés payés qu'il l'est aujourd'hui aux 35 heures », alors que le monde économique, social et géopolitique d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui de 1936 ?
Pourquoi le chef du gouvernement actuel ne reconnaît-il pas le clivage idéologique qui le sépare de M. Chirac au lieu de nous annoncer qu'il présidera « autrement » ? Cet autrement-là vaut une promesse qui ne sera jamais tenue. M. Jospin, certes, est d'une intégrité irréprochable, mais si « autrement » signifie « honnêtement », qu'il ne dise pas dans le même souffle qu'il n'exploitera pas les « affaires ». Car « autrement » veut dire, de façon très précise : « Moi, je ne traîne aucune casserole ».
D'ailleurs, M. Jospin ne sait pas du tout comment il va présider. Il ne sait pas, d'abord, si, une fois élu, il aura une majorité parlementaire, lui qui a gouverné pendant cinq ans avec une gauche non seulement plurielle mais divisée ; lui qui reçoit autant de boulets rouges des candidats de droite que des communistes, des chevènementistes et des Verts ; lui qui a accepté de cohabiter avec un président de droite et qui n'est pas assuré du tout d'avoir un Premier ministre de gauche.
Quant à Jacques Chirac qui, en 1997, a préféré la cohabitation à sa propre démission, pourquoi nous parle-t-il de sa « passion » pour la res publica ? Quelle passion, sinon celle de l'homme qui préfère le pouvoir à la retraite ? Pourquoi ne s'engage-t-il pas, dès aujourd'hui, à ne pas rester en fonction si, une fois qu'il aura été réélu, le peuple lui refuse une majorité ? Ce n'est pas parce que les Français aiment la cohabitation que les candidats doivent s'y plonger avec délices : elle constitue bel et bien une perversion des institutions, c'est une machine à produire de la médiocrité et bien qu'elle résulte des dispositions de la Constitution, elle la dévoie. Si M. Chirac est gaulliste, qu'il s'inspire, au moins sur ce point, de De Gaulle.
En d'autres termes, un candidat doit prendre des risques. Certes, on ne parvient pas à la magistrature suprême si on n'est pas doté d'une dévorante ambition, mais rien n'interdit au candidat de poser des garde-fous, quoi qu'il lui en coûte personnellement. Des principes intangibles, du courage républicain, de l'honnêteté intellectuelle, voilà qui ferait beaucoup de bien à la campagne. Un homme qui se présenterait au peuple en disant : « J'ai un défaut, j'adore le pouvoir. Mais je ne le prendrai pas à n'importe quel prix », voilà qui donnerait de la dignité à cette campagne.
Pour être juste, admettons que les deux candidats ont su reconnaître, l'un l'erreur de la dissolution qu'il a appelée « malentendu », l'autre le laxisme de son gouvernement en matière de sécurité. On leur propose de faire en mieux encore et de dire que l'autre n'est pas le diable, et que ce qui les sépare, ce n'est pas, comme avec M. Bush, le Bien et le Mal, mais des voies différentes pour améliorer le sort des Français. Leur variante du discours politique, c'est, pour M. Jospin, le « désir », pour M. Chirac, la « passion ». Il n'y a qu'en France qu'on entend des propos aussi intimes chez des hommes politiques.
Il faudrait que le débat soit seulement un débat d'idées plutôt qu'un match, qu'il soit économique et social, qu'il porte sur la sécurité intérieure, mais aussi extérieure de la France. Il s'est passé le 11 septembre 2001 quelque chose qui a changé le monde, mais regardez et écoutez : qui en parle ? Aucun candidat.
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