Chronique électorale
Le sursaut républicain du second tour de la présidentielle ne s'est pas confirmé pour la campagne des législatives. Les candidats se plaignent de la désaffection des masses : ils tiennent leurs meetings dans des salles presque vides.
Il faut dire que le peuple est très sollicité dès lors que plus de 8 600 candidats sont en lice. L'embarras du choix débouche parfois sur l'absence de choix. Peut-être que les Français sont las, aussi, de la rhétorique électorale. On n'a pas besoin de communier avec les gens du même bord dans une salle pour avoir une opinion. Il est plus logique de se la forger dans la lecture des journaux et l'observation des faits. La méfiance à l'égard du discours politique n'a pas disparu.
Sport et politique
Cependant, même au lendemain du premier tour de la présidentielle, nombre de citoyens, exprimant leur indifférence à l'égard du résultat et réitérant leur refus de voter, ont montré que leur comportement n'avait rien de civique. En dehors des facteurs, spécifiques à la France, qui peuvent expliquer le désintérêt de l'électorat, une simple observation de ce qui se passe à l'étranger montre que plus les démocraties prennent de l'âge, plus l'absentéisme est élevé. Enfin, les rendez-vous électoraux de cette année coïncident avec un climat d'incertitude sur la croissance, sur l'emploi, sur la sécurité, sur les équilibres fondamentaux. Les Français ont besoin d'oxygène.
C'est pourquoi le tournoi de Roland-Garros et la Coupe du monde de football intéressent le public (plutôt que l'opinion publique) plus que les élections. Jamais un pays ne se sera autant préoccupé de la lésion musculaire d'un footballeur qui est aussi un héros national. Les candidats voudraient bien que les Français discutent de leur santé avec autant de passion.
Cette comparaison entre la politique et le sport n'a rien d'original. Au regain d'optimisme national que l'on a cru observer en 1997, on a trouvé deux explications : la croissance retrouvée et la victoire de la France au Mondial. Si bien que ce qui renforce le plus la popularité d'un gouvernement, c'est aussi ce sur quoi il n'a guère d'influence, mais dont il se réjouit bruyamment et qu'il prétend s'approprier.
La politique est forcément ennuyeuse parce qu'elle est la science des crises, le traitement de problèmes parfois insolubles, l'interprétation de textes de plus en plus hermétiques, complexes, parfois indéchiffrables. Dans un pays développé et en paix, elle porte sur le budget, sur la protection sociale, sur l'éducation, sur la santé. Donc sur des thèmes abstraits au sujet desquels l'électeur devrait avoir au moins autant de connaissances que le candidat. Ce n'est pas le cas. Et comme la télévision simplifie tout, justement pour que son message soit compris de tous, elle ne contribue pas au savoir collectif. La fracture culturelle est peut-être la plus grave.
Le règne du foot
Il est donc plus facile de s'intéresser à Zinédine Zidane ou à Amélie Mauresmo. D'autant que cet intérêt crée un cercle vicieux. Dans le cas du football, l'enthousiasme populaire a atteint de tels sommets que le ballon rond a fini par devenir (mais pas seulement en France) une sorte d'idole ou de symbole qui remplace la religion, les sciences, l'humanisme, le débat politique. La demande, comme il se doit, a déterminé l'offre : il n'y pas de soir sans foot à la télévision ; on n'a jamais investi autant d'argent dans le foot ; le foot inspire des milliers de carrières ; des millions de téléspectateurs ou spectateurs ne jurent que par le foot ; le nombre de matches annuel ne cesse d'augmenter. Et les footballeurs jouent jusqu'à l'usure : il est admis que si Zidane avait moins joué avant le Mondial, il ne se serait pas blessé en Corée.
Le phénomène est vieux comme la civilisation humaine : panes et circences. Le Sénat romain prenait ses décisions tout en distrayant - aux deux sens du terme - les Romains par des combats de gladiateurs. Tout change et rien ne change.
Dans ce qu'a fait jusqu'à présent le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, l'acte le plus important aura été de nommer Luc Ferry ministre de l'Education nationale. Parce qu'il vient de la société civile et ne fait pas une carrière politique ; parce qu'il a déjà travaillé sur les programmes scolaires avec Jack Lang ; parce que c'est un philosophe ; parce que le peu qu'il a dit jusqu'à présent indique sa détermination.
Quelle peut être l'ambition de M. Ferry ? Bien entendu, il a insisté sur le retour de l'indispensable discipline dans les écoles et n'a pas craint de parler d'intolérance zéro aux comportements violents des élèves, sachant sans doute qu'on n'oserait pas l'accuser, lui, de démagogie.
Ce n'est pas le plus important. Dès lors qu'il est prêt aussi à lancer une offensive contre l'illettrisme, on peut imaginer qu'il rêve de têtes à la fois mieux faites et plus pleines. A en juger par sa simplicité, on devine que son intérêt n'est pas dans l'exercice du magistère (donc du pouvoir) ou qu'il se satisfait d'une culture personnelle qui le place au-dessus de la plupart des semblables.
Des têtes mieux faites
Comme tous les enseignants (et c'est en cela qu'ils font un travail admirable), ce ministre souhaite hisser une génération entière à son propre niveau culturel, ou presque. Comme ces correcteurs qui enragent devant une faute d'orthographe, M. Ferry voudra qu'on sorte de l'école avec assez de savoir pour affronter la société compliquée qu'ont produite le développement technologique, les progrès des connaissances, l'avènement de l'économie. Cette grosse partie de la France qu'effraient ou aliènent les théories économiques, les circuits de la mondialisation, les débats éthiques, les complexités infinies de tout sujet qui tombe dans le domaine politique, doit être mieux préparée non seulement aux métiers contemporains mais à la façon de vivre aujourd'hui, et qui ne se résume pas, malgré ce croient beaucoup de jeunes, à l'usage du téléphone portable et de l'ordinateur.
En effet, le scepticisme qu'inspire la politique n'est pas seulement lié à un déficit de confiance, mais aussi au fait qu'elle devient souvent impénétrable. On ne réussira à renforcer le civisme des Français que si on parvient à éduquer convenablement la jeunesse. On n'est pas spontanément mélomane : il faut avoir écouté de la musique avec assiduité pour en saisir la beauté ; de même les gens ne s'intéresseront à la politique que s'ils en connaissent les principaux mécanismes et l'utilité.
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