Pourquoi George W. Bush a-t-il décidé d'envoyer les « marines » à Kandahar ? N'avait-il pas plutôt intérêt à poursuivre cette guerre par procuration où les forces de l'Alliance remportent leur victoire mais sont également responsables de leurs erreurs ?
Le fait est que M. Bush poursuit patiemment, depuis le 11 septembre, le même objectif : la juste rétribution des crimes commis par Oussama ben Laden et, accessoirement, la destruction du régime des talibans. Accessoirement, parce que les Etats-Unis ne sont pas engagés, en Afghanistan, dans une entreprise de nation-building. Soucieux de ne pas confirmer leur réputation de gendarme du monde, ils laissent aux Afghans, avec le concours de l'ONU, le soin de reconstituer leurs pays, avec de nouvelles institutions et à la faveur de cette réunion de Bonn qui rassemble 28 tendances et ethnies.
Un programme suivi à la lettre
Depuis plus de deux mois, le gouvernement américain s'en est tenu, non sans minutie, à la lettre de son programme. Il a apporté à l'Alliance l'appoint militaire nécessaire pour qu'elle enfonçât le front des talibans. Il ne s'est pas ému des manifestations et émeutes du monde arabo-musulman et il a eu raison, puisque plus personne ne manifeste. Il a engagé sur le front un minimum de soldats. Et s'il a parachuté des marines sur l'aéroport de Kandahar en prenant soin d'annoncer aux Américains qu'il y aurait des morts, c'est parce qu'il veut refermer la nasse dans laquelle se trouveraient ben Laden et le mollah Omar. Il faut que la justice triomphe un jour.
Les aléas de la guerre ont apporté néanmoins leur cortège de bavures. Le carnage de la prison de Mazar-i-Sharif en témoigne. L'Alliance y avait enfermé plusieurs centaines de talibans étrangers dont l'un portait une grenade qu'il a fait exploser, en tuant deux officiers antitalibans. Dans la mêlée générale qui s'ensuivit, les détenus ont découvert des armes qu'ils ont retournées contre leurs geôliers. L'aviation américaine a dû bombarder la prison, sans épargner d'ailleurs quelques soldats de l'Alliance. On compte des centaines de morts.
On a eu le temps de tout dire à propos de cette guerre et on s'est beaucoup trompé. Les « invincibles » talibans ont fui comme un seul homme vers Kandahar. La campagne a ressemblé, à une partie de plaisir, les défections de bataillons entiers évitant de sanglantes batailles.
Un débroussaillage
Mais le désespoir a galvanisé les talibans, qui n'ont pas peur de mourir et ne veulent plus se rendre. L'Alliance piétine devant Kandahar et l'appoint des marines ne lui sera pas inutile cette fois non plus.
Un débroussaillage
Que peut-on attendre de la conférence de Bonn ? Les plus optimistes se contenteront d'un débroussaillage et même de moins : il suffirait que soit adoptée par toutes les parties l'idée qu'il faut reconstruire l'Afghanistan sur la base d'une représentation des ethnies et d'un partage des pouvoirs qui ne soit pas un partage du territoire. Il suffirait que les Afghans renoncent à identifier leurs tribus à des lambeaux de terrain. Il suffirait qu'ils demandent à tous les mercenaires, Arabes, Pakistanais, Tchétchènes, qui n'ont rien à faire en Afghanistan, de rentrer chez eux. Le panislamisme des talibans les a privés en effet de sentiment national, dès lors que la religion comptait plus que le pays lui-même et que le spirituel asservissait le temporel : tous soldats de l'intégrisme islamiste, les talibans, afghans ou étrangers, avaient aboli les frontières. Mais leur expérience s'est limitée à l'Afghanistan, qu'ils ont ravagé, et se termine par une défaite.
Pour les Etats-Unis, la route est longue : la bataille contre le terrorisme ne fait que commencer. La traque des réseaux doit se poursuivre inlassablement en Europe, en Asie, en Amérique. Il n'est pas sans importance qu'on ait arrêté en Belgique les complices des assassins du commandant Massoud. Il n'est pas dénué d'intérêt qu'on ait retrouvé des documents appartenant aux talibans et à la Qaïda qui décrivent leurs ambition de terroriser le monde, la dimension géopolitique de leur projet. Et si les talibans n'ont jamais voulu livrer Ben Laden, c'est parce que non seulement ils adhéraient à son dessein de « détruire l'Amérique », mais qu'ils y participaient.
On peut, ad vitam aeternam, dénoncer le comportement hégémonique des Américains, leur arrogance, leur prospérité insolente face à la misère d'un bon tiers de l'univers. On n'empêchera pas ceux qui ont des yeux de voir quelques évidences : devant un danger mortel, les Etats-Unis ne lésinent jamais sur les moyens de prévention ; ils ne se sentent pas coupables d'avoir atteint un certain degré de développement alors que leurs ennemis, pour les punir de cette réussite, consacrent leur énergie à tuer à et détruire ; et pour trop d'hommes encore, il est plus facile de se jeter dans la bataille que de creuser un canal ou de planter des tomates.
La métamorphose de Bush
Pour la première fois, un intellectuel arabe, Fethi Benslama, publie dans « le Monde » un article intitulé « Islam : quelle humiliation ? » dans lequel il écrit que « le monde arabe est sujet de sa propre humiliation. La responsabilité principale en incombe incontestablement à ses gouvernants ». Il complète son analyse par une dénonciation du régime saoudien, sans épargner, par ailleurs, les Etats-Unis, complices de la famille régnante d'Arabie. Mais au moins y a-t-il un Arabe courageux pour dire la vérité. Il fera des émules.
Il n'est pas certain que M. Bush, pour des raisons liées au pétrole et aux intérêts de sa famille, ne prendra pas un jour ses distances avec Ryad. Sa lenteur naturelle l'a beaucoup aidé à maîtriser la crise née des attentats. Et dans la gestion de cette crise, il a acquis une seconde nature, une dimension nouvelle. Il n'est plus seulement le fils de son père. Il devient homme d'Etat.
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