LES MYCOSES profondes représentent, dans certains secteurs hospitaliers, une préoccupation épidémiologique majeure. On observe en effet depuis vingt ans une augmentation régulière de l'incidence des candidoses systémiques d'origine nosocomiale. Les levures sont ainsi en passe de devenir un réel sujet d'inquiétude dans les services de réanimation chirurgicale, davantage, du reste, qu'en hématologie où des protocoles prophylactiques efficaces sont institués. On note également, chez les patients transplantés ou les allogreffés de moelle, une croissance constante du nombre d'infections par les champignons filamenteux : mucormycoses, dont le traitement reste aujourd'hui encore très problématique, Aspergillus, Fusarium ou encore Scedosporium.
La médecine moderne crée par ailleurs ses propres populations de patients immunosupprimés, les plus récents d'entre eux étant représentés par les malades de rhumatologie ou de gastro-entérologie traités par les anti-TNF alpha pour un rhumatisme ou une colite inflammatoire. Or, on le sait, le TNF-alpha joue un rôle central dans la défense contre les infections à germes intracellulaires, tuberculose et champignons responsables de mycoses profondes, notamment. Ces patients viennent s'adjoindre aux malades d'hématologie qui bénéficient de protocoles de chimiothérapie sans cesse intensifiés comprenant des analogues des purines dont on connaît l'effet inhibiteur sur l'immunité cellulaire. Notons enfin, dans ce chapitre épidémiologique, que la fracture Nord-Sud est au moins aussi dramatique sur le plan des infections fongiques que sur celui des pathologies d'origine bactérienne, parasitaire ou... virale : en Afrique comme en Asie du Sud-Est, un patient sur trois vivant avec le VIH vit également avec le cryptocoque, responsable d'infections disséminées dont une atteinte du système nerveux central qui en fait toute la gravité.
Un diagnostic plus précoce.
Face à cette situation, les infectiologues et les autres cliniciens confrontés à la prise en charge des patients immunodéprimés disposent désormais, dans les pays développés, d'outils diagnostiques et thérapeutiques améliorés.
Jusqu'à ces dernières années, le diagnostic de mycose reposait exclusivement sur l'examen direct du matériel recueilli lors de ponctions, lavages broncho-alvéolaires ou de prélèvements cutanés et sur la culture de ces prélèvements sur des milieux standards. Forcément limités - le lavage broncho-alvéolaire et les biopsies ne peuvent, par exemple, être réalisés chez le patient thrombopénique -, ces outils livraient un diagnostic souvent trop tardif. Aujourd'hui, la mise en évidence d'antigènes fongiques permet de gagner un temps précieux. Ainsi, au cours de l'aspergillose, la mise en évidence dans le sérum ou dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire d'antigènes aspergillaires est désormais un argument déterminant pour la prise de décision thérapeutique. De même, l'antigène cryptococcique est à la fois très spécifique et très sensible : il signe de façon formelle l'existence d'une infection profonde, notamment au cours du syndrome d'immunodéficience acquise. S'ils existent déjà, les outils diagnostiques moléculaires, basés sur la PCR et l'amplification d'amorces permettant de détecter la présence de champignons, font quant à eux encore partie de la recherche clinique. Ils pourraient rendre également possible un diagnostic plus précoce et donc une meilleure prise en charge des mycoses profondes.
Echinocandines et nouveaux triazolés.
Comme on pouvait le craindre, le problème épidémiologique évoqué plus haut se double aujourd'hui d'une préoccupation liée à l'inconstante sensibilité des champignons aux antifongiques actuels. Heureusement, le thérapeute dispose depuis quelques mois d'armes nouvelles. La famille des échinocandines, tout d'abord, est composée de trois molécules dont une est commercialisée en France, la caspofungine. Elle représente une alternative intéressante à l'amphotéricine B pour le traitement des candidoses systémiques chez le sujet non neutropénique ou pour celui de l'aspergillose invasive réfractaire. Son mode d'action original - elle agit sur la paroi du champignon - rend envisageable son utilisation dans le cadre de schémas d'association d'antifongiques, qui, pour l'heure, ne sont pas encore validés sur le plan clinique. Elle est bien tolérée, n'entraîne que peu d'interactions pharmacocinétiques, mais n'est utilisable que par voie veineuse. In vitro, elle ne présente pas d'antagonisme avec d'autres antifongiques.
Le voriconazole, en revanche, peut également être administré par voie orale, d'où son intérêt particulier dans les protocoles thérapeutiques prolongés. Il est très efficace dans le traitement des candidoses de moindre sensibilité ( C. albicans, C. glabrata,) ou résistantes ( C. glabrata, C. krusei) au fluconazole. Le voriconazole s'impose également comme un antifongique majeur contre l'Aspergillus : son efficacité s'est montrée supérieure à celle de l'amphotéricine B dans le traitement des aspergilloses invasives. Enfin, cette molécule a transformé le pronostic jusqu'alors très sombre des infections à Fusarium et Scedosporium. Avec la famille des échinocandines, ce nouveau triazolé représente donc une innovation thérapeutique majeure. Son mode d'action est comparable à celui des autres azolés - il inhibe la voie de synthèse de l'ergostérol, l'un des éléments de la membrane du champignon - mais, contrairement aux molécules plus anciennes de la même famille, il est fongicide sur Aspergillus.
On administre en pratique une dose de charge de voriconazole le premier jour du traitement, poursuivie dès le deuxième jour par une dose de relais. Par voie orale, sa posologie sera adaptée selon le poids du patient, inférieur ou supérieur à 40 kg.
Reste le problème des nombreuses interactions médicamenteuses observées notamment avec des molécules prescrites aux malades porteurs du VIH, antiprotéases et inhibiteurs non nucléosidiques. De même, les inducteurs enzymatiques tels que la rifampicine effondrent la concentration du voriconazole. Inversement, les antifongiques, qui sont des inhibiteurs enzymatiques, vont entraîner une augmentation de la concentration des immunosuppresseurs. Le sirolimus, notamment, ne peut être prescrit de façon conjointe au voriconazole.
Enfin, d'autres molécules antifongiques prometteuses sont en développement à l'heure actuelle. Citons le posaconazole dont l'intérêt est d'être efficace contre certains agents responsables de mucormycoses, et le ravuconazole, caractérisé par une demi-vie très longue, la micafungine et l'anidulafungine.
* Service d'infectiologie, hôpital Necker - Enfants-Malades, Paris, et le Centre national de référence mycologie et antifongiques, Institut Pasteur, Paris.
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