MADAME G, enseignante, souffre depuis deux à trois ans de douleurs anales, périnéales et vaginales qui lui gâchent la vie. Cette trentenaire a accouché il y a huit mois d'une petite fille. La grossesse et l'accouchement n'ont rien changé à ses douleurs. Les examens n'ayant pas permis d'en identifier clairement la cause, les thérapeutes proposent de s'attaquer aux symptômes. Refusant de prendre des médicaments – par crainte de baisse de vigilance –, Mme G accepte les infiltrations. Les douleurs persistent. Elle envisage alors la chirurgie pour «décoincer un nerf», malgré la possibilité d'un échec de l'intervention. Mais, avant de se lancer, elle pense à l'hypnose. Son médecin traitant l'adresse, pour des séances d'hypnose à visée antalgique, au Dr Jean-Marc Benhaiem, directeur du DU d'hypnose à la faculté de la Pitié-Salpêtrière et hypnothérapeute au centre de traitement de la douleur de l'hôpital Ambroise-Paré.
Faire ressentir le moment présent.
Première séance. Installée sur un fauteuil face au Dr Benhaiem, Mme G indique qu'elle s'est «renseignée sur Internet au sujet de sa pathologie» et que les informations recueillies l'inquiètent : «Il existe peu de succès thérapeutiques, cette affection est chronique.» Elle ajoute qu'elle va «cesser de consulter les sites Internet. Il vaut mieux rester ignorante, afin d'avoir une chance de guérir» .
Le Dr Benhaiem attire son attention sur le fait qu'elle indique-là une possibilité d'aller mieux en ignorant le diagnostic et toute information relative à son affection. «Il est intéressant pour l'hypnothérapeute de pointer du doigt cet élément. Car il peut déjà apporter un changement, un soulagement pour le patient», explique-t-il.
Le médecin demande à sa patiente de lui décrire ce qu'elle ressent. Aussitôt, son visage s'assombrit. Elle décrit ses douleurs, une forte émotion s'empare d'elle. Elle a envie de pleurer. Le Dr Benhaiem lui fait remarquer que, pour décrire son problème, elle a retrouvé ses douleurs et sa souffrance. Alors que, en début de séance, elle semblait détendue et souriante. «La description par MmeG de ses souffrances a provoqué un changement de registre, comme si elle changeait de case.»
Le Dr Benhaiem lui propose de fermer les yeux et de porter attention à son corps pour le laisser se dénouer. «Ce qui est spécifique à l'hypnose, c'est cet état particulier que l'on propose, qui permet de ramener le patient au moment présent. On ne peut rien changer de son passé, mais on peut modifier ce qu'il est en train de vivre.»
Le médecin doit être dans une «extrême présence» à ce que dit le patient, à ses réactions. Il faut vivre le moment présent. «Le déroulement de chaque séance est imprévisible, aléatoire», souligne le Dr Benhaiem .
Travailler sa personnalité.
Deuxième séance. Mme G fait état d'une petite amélioration. Elle précise aussi que «ses douleurs sont apparues un jour ou deux après un rapport sexuel qui avait pourtant été agréable. Une douleur sur la paroi vaginale s'est installée quelques jours après et ne l'a plus quittée.» Le Dr Benhaiem lui demande comment elle pense que la douleur va se calmer. Elle répond : «Je ne sais pas.» Le médecin lui suggère de pincer le dos de sa main droite jusqu'à déclencher une douleur, puis de stabiliser le pincement et de noter quand la douleur commence à diminuer. Mme G accepte de jouer le jeu. Après trente secondes, elle dit au Dr Benhaiem que la douleur a presque disparu. Ce dernier lui fait remarquer qu'il a dû se passer quelque chose avec son corps puisqu'il a fait un travail antalgique. Mme G venait, en effet, de faire l'expérience de la capacité de son corps à calmer une douleur sans une intervention volontaire de sa part. Depuis ce jour, elle repense souvent à cet exercice. Elle sait que, au bout d'un moment, ses douleurs périnéales peuvent diminuer.
Lors de la même séance, le Dr Benhaiem lui demande «comment elle supporte d'avoir une zone de son corps qui pose problème». Mme G répond qu'elle «ne supporte pas que tout n'aille pas pour le mieux». N'a-t-elle pas remarqué, dans son caractère, un côté exigeant et perfectionniste, interroge le médecin ? Mme G sourit : «Effectivement, pour elle-même et pour les autres, elle est très exigeante.»«Cette question avait mis en évidence le conflit de ma patiente avec cette partie de son corps qui ne va pas bien. Et avec laquelle elle se fâche et se met en colère», commente le Dr Benhaiem.
Ce que l'hypnose apporte ici d'original, souligne-t-il, c'est la mise en évidence d'un élément de la personnalité. «Je lui ai fait prendre conscience que le fait de réduire cette exigence pourrait lui apporter un mieux-être. Car l'exigence peut se manifester par la contraction du corps.
Troisième séance. Mme G dit avoir passé des journées entières sans douleur. Globalement, elle se porte mieux. Et ne prend toujours aucun médicament. Ce jour-là, pourtant, elle ne va pas bien, ses douleurs ont repris. Elle ajoute qu'elle «évite la sexualité car cette zone est douloureuse». Et elle «n'a pas de désir depuis l'accouchement». Le Dr Benhaiem lui propose d'imaginer que son mari est dans la pièce, de ne pas penser, de sentir la situation. Et de voir si un accord au sujet de la sexualité pourrait s'établir.
«Dans ce cas, l'hypnose est originale, affirme le praticien. Je ne rassure pas ma patiente en lui disant qu'avec un peu de patience tout ira mieux avec son mari. Mais je lui propose d'halluciner la présence de son mari. L'hypnose rend possible le traitement d'un problème de manière instantanée, en temps réel. Les découvertes de l'imagerie cérébrale ont d'ailleurs montré qu'il y a une forte ressemblance au niveau cérébral entre imaginer quelque chose et le faire.» Mme G imagine donc que son mari est là et indique qu'elle «ressent l'attachement profond que son mari a pour elle alors que, en début de séance, elle ne mentionnait que son désir sexuel».
L'acceptation, clé du soulagement.
Au cours d'une autre séance, le Dr Benhaiem demande à Mme G de décrire ce qu'elle ressent vis-à-vis de la zone périnéale en souffrance. Celle-ci répond qu'elle «se sent agressive envers ce problème qui lui gâche la vie». Se souvenant qu'elle est enseignante, le médecin cherche à lui faire comprendre qu'une telle attitude peut aggraver ses symptômes. Comment agit-elle lorsqu'un élève qui pourrait fournir un bon travail ne le fait pas et perturbe la classe ? Elle «le met dehors». Le Dr Benhaiem lui demande alors si elle ne recourt qu'à ce type de méthodes dans l'enseignement. Une question censée lui faire prendre conscience que ce n'est pas en étant agressive vis-à-vis de sa souffrance, ni en cherchant à tout prix à l'écarter, qu'elle y arrivera. Mme G répond qu' «elle peut aussi parler avec l'enfant perturbateur, lui expliquer ce qui ne va pas et recevoir ses parents». Elle «vient précisément de trouver le traitement efficace pour atténuer ses douleurs: changer d'attitude».
Le médecin demande à sa patiente comment elle s'occupe de sa fille de 8 mois. Réponse : «Avec tendresse et douceur.» Depuis cette séance, raconte le Dr Benhaiem, «quand MmeG a mal au niveau du périnée, elle repense souvent à sa relation avec sa petite fille. Elle lâche alors le conflit, la tension et la colère qu'elle ressent vis-à-vis de ses douleurs. Et celles-ci s'atténuent. L'hypnose a servi à rétablir un lien entre une attitude et le ressenti d'une douleur. Ce que propose l'hypnose n'est pas simple, ni magique. Aujourd'hui, globalement, MmeG va mieux. Je la revois de temps en temps.»
Une démarche inspirée par le patient
Approche permettant une prise en charge globale, l'hypnose peut apporter une réponse thérapeutique aux patients souffrant de douleurs chroniques, mais aussi de troubles fonctionnels digestifs et psychiatriques, explique le Dr Benhaiem. Cette approche peut également permettre de soulager la peur, le stress. Elle se révèle utile en gynécologie, en cancérologie et en soins palliatifs. Pas question cependant d'opposer science médicale et médecine holistique (hypnose, par exemple), «d'affirmer que l'une est supérieure à l'autre. Il est possible et même recommandé de passer de l'une à l'autre pour optimiser le soin. Mais elles sont distinctes: leurs démarches sont radicalement différentes».
«La raison, la logique et les chiffres ne sont pas toujours suffisants pour se confronter aux problèmes médicaux. Il y a une place pour une autre approche, insiste le médecin. Avec l'hypnose, les règles sont toujours à expliciter et à réexpliciter. D'où l'obligation pour le thérapeute d'une invention permanente toujours inspirée par son patient. L'hypnose bouleverse les règles traditionnelles de la consultation.»
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