DES SOUVENIRS, Jean d'Ormesson en a autant en réserve - depuis son enfance privilégiée au château de Plessis-lez-Vaudreuil en Haute-Sarthe, où le temps se déroulait sous la houlette du grand-père, comme dans les siècles passés entre chasse à courre, religion et famille - qu'il peut en créer - comme en témoignent ses nombreux précédents ouvrages. Inutile alors de chercher la part du réel et de l'imaginaire, mieux vaut tout accepter comme une offrande littéraire.
Les étapes de la vie de l'écrivain qui forment l'ossature du livre sont d'ailleurs vite résumées : après le bac, hypokhâgne et khâgne à Henri-IV, agrégation, l'école Normale, il est appelé par André François-Poncet, alors ambassadeur à Bonn. Vite gagné par l'ennui, il demande à enseigner ; il est nommé aux Etats-Unis, dans la petite université de Bryn Mawr. Il aurait pu faire sa vie en Amérique, avec Lea, « juive, brune, polonaise, très gaie malgré tant de malheurs », s'il n'avait rencontré Marie, « une grande fille blonde et sombre », une Française dont la famille appartenait à l'extrême droite et dont le frère, Obersturmfürher dans la division SS Charlemagne, a été fusillé à la Libération. « J'aimais Lea. Peut-être m'aimait-elle. J'aimais Lea et je ne pensais qu'à Marie que je ne connaissais pas. Pourquoi ? » Non sans douleur mais sans appel, le choix a été fait. Et la vie avec Marie fut douce, remplie de voyages et de découvertes, jusqu'à ce qu'elle rencontre la mort sur une route des Abruzzes.
Ces repères ne sont pas l'essentiel du roman, s'y greffent quantité d'anecdotes historiques, politiques, sociales, culturelles ou personnelles qui servent à illustrer la pensée de l'écrivain. S'adressant à une jeune journaliste, le vieux roué n'a aucun scrupule à faire étalage de ses connaissances, passant allègrement d'un siècle et d'un sujet à l'autre.
Si le narrateur ne semble pas avoir été hissé, comme c'est le cas de Jean d'Ormesson depuis 1973, au rang « d'immortel », il livre toutefois à notre curiosité d'intéressantes informations sur ce que représentent pour lui les livres. « Je suis venu parmi eux comme vers un paradis, un royaume enchanté, une oasis dans le désert du monde... Les livres prenaient le relais de Dieu pour une seconde création qui doublait la première et qui la corrigeait. » Il raconte la genèse de son écriture, alors qu'il enseignait aux jeunes filles de Bryn Mawr, ses premiers livres qui furent des « demi-échecs » puis sa grande œuvre, « La Gloire de l'Empire », « et, pour la première fois, je connus enfin quelque chose de grisant et d'un peu triste qui ressemblait au succès ». Succès qui ne l'a plus lâché. Oui, mais : « Le succès est la pierre de touche des écrivains sans ambition. » Alors, écrit-il pour la postérité ? Pas du tout. « Je me contente des liens tissés avec mes lecteurs par mes livres successifs. J'imagine que ceux qui me lisent trouvent parfois dans leur lecture un peu de plaisir ou d'émotion, peut-être même, de temps à autre, une sorte d'apaisement ou de consolation. Voilà ma récompense... Je remercie ceux qui me lisent. Et ceux qui me liront. J'aurai ri avec eux. Et pleuré avec eux. » La vie n'est-elle pas « une fête en larmes », très gaie et très triste ?
Éditions Robert Laffont, 347 p., 20 euros
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