Par le Pr Jacques Robert*
LA RÉPARATION DE l'ADN est un processus essentiel à la vie des cellules et des organismes. Exposé à des agressions permanentes, ne serait-ce que par les rayons du soleil sur la peau, l'ADN a besoin de plusieurs systèmes d'alarme, de signalisation et de réparation pour conserver son intégrité à travers la multiplication cellulaire, surtout si l'on considère que dans chaque organisme, chaque jour, plusieurs millions de mitoses surviennent. Les altérations des systèmes de réparation sont multiples. Certaines sont fortement délétères et conduisent à des maladies héréditaires comme une hypersensibilité dramatique au rayonnement solaire (xeroderma pigmentosum) qui s'accompagnent souvent d'une prédisposition à la survenue de cancers. En effet, les gènes qui contrôlent l'intégrité de l'ADN et assurent sa réparation sont le plus souvent des gènes suppresseurs de tumeurs : en maintenant la stabilité du génome, ils freinent la survenue de mutations qui pourraient favoriser la prolifération cellulaire. On comprend dès lors que la perte de leur fonction, totale ou partielle, constitue un facteur de prédisposition à la survenue de cancers. L'instabilité génomique est au coeur des mécanismes de l'oncogenèse. La réparation de l'ADN, dans les cancers déclarés que l'on souhaite traiter par radio- ou chimiothérapie, va jouer un rôle crucial dans la sensibilité aux agents qui endommagent directement l'ADN, comme les radiations ionisantes, les sels de platine et les agents alkylants. Une détection précise, une signalisation pertinente, une réparation efficace, vont entraver l'activité de ces agents, dont le mécanisme d'action repose précisément sur la formation de lésions de l'ADN qui dépasse les possibilités de réparation de la cellule cancéreuse. A l'inverse du rôle néfaste que jouent les altérations de la réparation de l'ADN sur la survenue de cancers, ces altérations vont être mises à profit pour améliorer la réponse thérapeutique.
Un certain nombre d'exemples sont maintenant bien documentés. C'est souvent à partir d'études rétrospectives mettant en correspondance la réponse au traitement ou la survie avec l'expression de certains gènes ou des protéines qui en dérivent. Ces études, pour intéressantes qu'elles soient, ne peuvent pas encore permettre de proposer en routine ce type d'analyse en tant que facteurs prédictifs de réponse, mais elles ouvrent la voie à des études prospectives qui pourront valider de façon convaincante les observations réalisées et permettront la mise en place de tests prédictifs de réponse destinés à orienter la prescription thérapeutique. C'est ainsi que le gène ERCC1 et son produit, la protéine de même nom, jouent un rôle majeur dans la réponse aux sels de platine des cancers broncho-pulmonaires. Cette protéine intervient dans un mécanisme de réparation de l'ADN par excision de nucléotides (NER). Dans une très belle étude, un groupe de l'institut Gustave-Roussy a montré (1), dans une série importante de patients, que l'absence de cette protéine ERCC1 dans la tumeur était associée, chez les patients ayant reçu une chimiothérapie adjuvante contenant du cisplatine ou du carboplatine, à une survie prolongée de 14 mois par rapport au groupe n'ayant pas reçu de chimiothérapie. Chez les patients dont la tumeur exprime la protéine ERCC1, en revanche, aucun bénéfice de la chimiothérapie n'apparaît en terme de survie globale. Comme la protéine est exprimée dans un peu moins de 50 % des tumeurs, c'est un patient sur deux à qui une chimiothérapie inutile pourrait être évitée. Ce même gène ERCC1 semble intervenir également dans la réponse des cancers colo-rectaux à l'oxaliplatine. Un polymorphisme de ce gène est à l'origine de variants qui présentent une activité diminuée de la protéine. Sur une série rétrospective d'une centaine de patients, un autre groupe de l'IGR a montré (2) que le taux de réponse à une chimiothérapie contenant de l'oxaliplatine était plus élevé chez les sujets variants que chez les sujets de génotype commun, et que cette différence n'était pas observée chez les patients recevant une chimiothérapie ne contenant pas d'oxaliplatine. Un autre gène du même système de réparation de l'ADN, nommé ERCC2, intervient aussi dans la réponse des cancers colo-rectaux à l'oxaliplatine et présente un polymorphisme suspecté d'améliorer son efficacité. Une étude, que nous avons menée sur une centaine de patients (3), a révélé que c'étaient cette fois les sujets de génotype commun qui avaient un avantage significatif de survie par rapport à ceux de génotype variant ; dans cette étude également, il n'y avait aucune différence liée au génotype chez les patients recevant une chimiothérapie ne contenant pas d'oxaliplatine, ce qui montre bien que le polymorphisme est un facteur prédictif d'efficacité thérapeutique et non un simple facteur pronostique indépendant du traitement. Un autre système de réparation de l'ADN, impliqué dans la réparation des mésappariements (MMR) joue, de façon paradoxale, un rôle exactement inverse dans la sensibilité aux sels de platine, bien qu'il ne soit pas capable de réparer les lésions de l'ADN occasionnées par ces anticancéreux. Ce mécanisme, dans un premier temps sollicité pour réparer ces lésions, ne peut y parvenir, et active devant cet échec les mécanismes de la mort cellulaire par apoptose ; expérimentalement, c'est bien une diminution de l'expression des protéines responsables du MMR, appelées MLH1 et MSH2, qui est associée à la résistance au platine. En clinique, une réduction de l'expression de MLH1 est associée à une faible efficacité du carboplatine dans les cancers de l'ovaire (4).
Le rôle de la protéine p53.
En amont des systèmes de réparation proprement dits, mais présidant à leur déclenchement ou à la mise en oeuvre de la mort cellulaire, si la réparation de l'ADN apparaît impossible, se trouve une protéine clé, gardien de l'intégrité du génome, la protéine p53, qui perd sa fonctionnalité dans près de 50 % des cancers en raison de mutations. De très nombreuses études ont recherché son rôle au niveau de l'action des anticancéreux, avec des résultats contradictoires selon le type tumoral et selon le médicament en cause. Par exemple, il est acquis que les cancers colo-rectaux ayant une protéine p53 mutée, non fonctionnelle, sont résistants au 5-fluorouracile : dans ce cas, la perte de fonction de p53 empêcherait la mise en oeuvre de la mort cellulaire. Les cancers de l'ovaire, en revanche, sembleraient, dans une étude récente, plus sensibles aux sels de platine lorsque la protéine p53 est mutée, la perte de fonction empêchant, dans ce cas, la mise en oeuvre de la réparation de l'ADN qui permettrait aux cellules tumorales d'échapper à l'action du médicament.
La réparation de l'ADN apparaît donc comme une arme à double tranchant : toute diminution de son efficacité peut être un facteur favorisant la survenue de cancers ; mais, en même temps, ses déficiences peuvent conduire à une meilleure efficacité thérapeutique. Il faut toutefois rappeler que d'autres facteurs interviennent dans le déterminisme de l'efficacité des chimiothérapies, et que seules des études prospectives peuvent permettre de quantifier le bénéfice à attendre d'une prescription individualisée des outils disponibles pour traiter les patients atteints de cancer.
* Institut Bergonié, Bordeaux.
(1) Olaussen KA, Dunant A, Fouret P et al. N Engl J Med 2006 ; 355 : 983-91.
(2) Viguier J, Boige V, Miquel C et al. Clin Cancer Res 2005 ; 11 : 6212-7.
(3) Le Morvan V, Smith D, Robert J. Sous presse.
(4) Gifford G, Paul J, Vasey PA, Kaye SB, Brown R. Clin Cancer Res 2004 ; 10 : 4420-6.
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