Plusieurs travaux ont montré dans les cinq dernières années l'importance de la qualité du tissu osseux, en particulier du degré de minéralisation du tissu osseux et de l'intégrité microarchitecturale du tissu trabéculaire, qui subit des altérations qualitatives au cours de l'ostéoporose. Comme le souligne le Dr Erick Legrand, « nous avons montré, en utilisant des techniques histologiques osseuses modernes, que, à densité osseuse (DO) égale, les patients qui présentent le plus de fractures sont ceux dont la microarchitecture osseuse trabéculaire est la plus altérée ». Plusieurs équipes françaises (Angers, Lille, Orléans) travaillent maintenant pour reproduire ces résultats, sans recourir à la biopsie osseuse, à partir de l'analyse d'images radiographiques, tomodensitométriques ou IRM.
Nouveaux facteurs prédictifs de la survenue des fractures ostéoporotiques
L'objectif poursuivi à moyen terme est de fournir aux cliniciens des mesures non invasives de la qualité microarchitecturale du tissu osseux, au cours de l'ostéoporose, pour identifier les patients à très haut risque de fracture.
L'anatomie des pièces osseuses doit également être prise en compte et en particulier la taille des vertèbres, le diamètre et la longueur du col fémoral (les femmes dont les vertèbres sont plus petites et le col fémoral moins épais sont deux fois plus exposées aux fractures que les hommes). Chez l'homme vieillissant, l'augmentation de l'apposition périostée et donc de la circonférence du col fémoral (sous l'influence de la testostérone) offre une relative protection, en termes de fracture de l'extrémité supérieure du fémur (ESF), par rapport à la femme. Inversement, plus le col du fémur est long, plus le risque de fracture de l'ESF est élevé.
Avec ces nouvelles données se profile l'apparition de logiciels qui permettront, non seulement de calculer la DO sur l'ESF, mais aussi d'apprécier la longueur du col fémoral. Et ajoute le Dr Legrand, « dans un délai de trois à quatre ans, cette mesure pourra être intégrée dans l'évaluation du risque fracturaire, notamment chez le sujet âgé ».
L'évaluation du risque de chute est un autre élément décisif pour apprécier le risque de survenue des fractures ostéoporotiques et notamment d'une fracture de l'ESF. Chez les hommes âgés, plusieurs études ont notamment montré que le risque de fracture de l'ESF est globalement multiplié par 2 ou 3 en cas de maladie susceptible d'altérer le tissu osseux (comme une corticothérapie significative) mais qu'il est multiplié par 5 à 7 en cas de maladie ou handicap neurosensoriel susceptible d'entraîner des chutes.
Rechercher les facteurs de risque clinique
Comment repérer en pratique clinique les patients à haut risque ? Le clinicien dispose certes de la mesure de DO mais il peut aussi repérer par l'interrogatoire un certain nombre de facteurs de risque majeurs.
Chez la femme ménopausée, les études convergent pour montrer l'existence de facteurs de risque très significatifs : un antécédent maternel ou paternel de fracture de l'ESF, une première fracture ostéoporotique, un âge élevé (risque multiplié par 1,5 en prenant dix ans d'âge), la maigreur (poids inférieur à 57 kg) ou la notion d'une perte de poids évolutive après 50-60 ans (spontanée ou après un régime) et bien sûr une franche diminution de la densité osseuse. De plus, il est capital de prendre en compte plusieurs circonstances étiologiques associées à une perte osseuse évolutive : la ménopause, surtout précoce et non traitée, le tabagisme avéré et actuel (qui multiplie par 1,5 à 2 le risque de fracture) et, bien entendu, la corticothérapie dont la poursuite au long cours multiplie par 2 ou 3 le risque de fracture. On retiendra, chez une femme ménopausée, que chaque facteur présent multiplie à lui seul le risque de fracture par 1,5. Et plus le nombre de facteurs de risque est élevé chez une même patiente, plus le risque de fracture ostéoporotique est élevé à court et à moyen terme.
Chez l'homme, la situation est un peu moins claire mais l'âge élevé, les antécédents personnels et familiaux de fracture, la maigreur, l'alcoolisme chronique, le tabagisme et la corticothérapie sont d'indiscutables facteurs de risque à mettre en parallèle avec la diminution de la densité osseuse, également fortement prédictive du risque de fracture. Parmi les circonstances étiologiques, l'hypogonadisme masculin (carence vraie et prolongée en testostérone) est la pathologie la plus associée aux troubles de la microarchitecture osseuse et aux fractures multiples en particulier vertébrales. Chez l'homme également, le risque de survenue d'une fracture ostéoporotique est d'autant plus élevé que le nombre de ces facteurs de risque est grand.
Enfin, dans les deux sexes, après 70 ans, la survenue de chutes répétées va jouer un rôle démultiplicateur dans la survenue des fractures vertébrales et de l'ESF.
Une prise en charge globale
L'ensemble de ces nouvelles données amène à envisager quatre conséquences thérapeutiques modifiant quelque peu les habitudes antérieures :
- Les sujets âgés et très âgés sont justiciables d'un traitement car ils cumulent souvent les facteurs de risque et présentent un risque élevé de fracture ostéoporotique à court terme. A cet égard, le Dr Legrand rappelle que la prescription d'un bisphosphonate moderne comme le risedronate ou l'alendronate, associé à du calcium et à de la vitamine D, permet l'obtention d'une très nette réduction de l'incidence des fractures (de 50 à 60 %) à partir de douze à dix-huit mois de traitement, c[212]est-à-dire à court terme.
- Il ne faut pas hésiter non plus à traiter les patients qui ont déjà présenté plusieurs fractures, car ce sont eux chez qui le risque de récidive à court terme est le plus élevé. En outre, les études thérapeutiques portant notamment sur les bisphosphonates ont montré que la réduction du risque fracturaire était particulièrement franche, avec ces médicaments, chez les patients dont l'ostéoporose était sévère en termes de fractures.
- Chez le sujet âgé, après 70 ans, tout traitement médicamenteux de l'ostéoporose doit aussi être accompagné d'une prise en charge du risque de chute : évaluation de la vue et de l'audition, traitement des maladies neurologiques, entretien musculaire par la marche à pied (au moins de 15 à 40 minutes de marche par jour) ou par des soins de kinésithérapie pour les plus handicapés, prescription de vitamine D qui semble réduire le risque de chute par une action musculaire... sans oublier l'indispensable aménagement du domicile.
- Chez les patients plus jeunes, la prescription d'un traitement actif sur la prévention des fractures (comme les bisphosphonates, le calcium et la vitamine D) doit s'accompagner d'une enquête étiologique complète et d'une recherche de solution pour chaque facteur de risque identifié : THS chez la femme ménopausée, supplément en testostérone chez les hommes hypogonadiques avérés, programme de sevrage tabagique, correction des erreurs nutritionnelles, adaptation de la corticothérapie en diminuant progressivement les doses et en utilisant le plus souvent possible les voies locales.
D'après un entretien avec le Dr Erick Legrand, service de rhumatologie, CHU d'Angers.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature