Fréquente, d'expression clinique volontiers trompeuse, l'insuffisance cardiaque du sujet âgé est grevée d'un sombre pronostic.
Parmi les facteurs en cause : l'existence de comorbidités, en particulier de troubles cognitifs, la polymédication et un risque iatrogène élevé. Une prise en charge multidisciplinaire des patients fragilisés permet de réduire le nombre de réhospitalisations et la mortalité.
ON ASSISTE à une augmentation de la prévalence de l'insuffisance cardiaque chez les sujets âgés, notamment les femmes, chez lesquelles, dans deux tiers des cas, la fonction systolique est préservée.
Le pronostic de l'insuffisance cardiaque dans la population gériatrique est péjoratif ; sur les 32 000 décès annuels imputables à la maladie, 90 % surviennent chez des patients de plus de 70 ans. Et, selon une étude récente, chez les sujets âgés de plus de 80 ans, le taux de décès à douze semaines est de 22 %.
Le diagnostic de l'insuffisance cardiaque est plus difficile chez les sujets âgés en raison de l'absence fréquente des signes cliniques classiques et de leur manque de spécificité dans cette tranche d'âge : dyspnée d'effort, oedèmes des membres inférieurs, crépitants, tachycardie, etc. A l'inverse, l'insuffisance cardiaque se présente volontiers sous une forme trompeuse : confusion, asthénie, anorexie, chute, insomnie…
De ce fait, le diagnostic est souvent retardé et n'est fait qu'au stade de l'oedème pulmonaire.
« Il est donc important de savoir évoquer le diagnostic face à des signes atypiques , a insisté le Dr Olivier Hanon (gériatre, hôpital Broca, Paris). La radiographie pulmonaire est peu contributive et l'examen de référence reste l'échocardiographie. Cette dernière n'est cependant pratiquée que dans 38 % des cas chez les plus de 80 ans. Le recours au dosage du BNP (brain natriuretic peptide) peut aider au diagnostic, en sachant que la spécificité de ce paramètre est moindre chez les sujets âgés.
Rechercher des troubles cognitifs.
Une autre particularité à prendre en compte chez le sujet âgé est l'existence fréquente de comorbidités : troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive, dépression, hypertension artérielle, troubles du rythme. Vingt-sept pour cent des patients ont de 1 à 3 comorbidités, 41 % entre 4 et 5 et 32 % plus de 5 et sont, de ce fait, polymédiqués. Un traitement à visée neurologique est pris dans 36 % des cas, à visée gastro-entérologique dans 40 % des cas et une antibiothérapie dans 37 % des cas.
« On ne peut donc pas raisonner en “ mono-organe “ », insiste le Dr Hanon, qui précise que « les comorbidités sont des déterminants majeurs de la mortalité. Il est notamment extrêmement important de détecter d'éventuels troubles cognitifs, dont la présence multiplie par cinq, le risque relatif de décès à un an. La “fragilité“ du sujet âgé est estimée par une évaluation gériatrique standardisée, à l'aide de l'échelle MMS (mini mental state) ou, de façon plus rapide, par le test de l'horloge ».
La stratégie thérapeutique se fonde sur une approche multidisciplinaire, dont les bénéfices sont démontrés : diminution du nombre de réhospitalisations et de la mortalité. La prescription thérapeutique doit être très réfléchie, en raison du risque de pathologie iatrogène. «Un tiers des accidents iatrogènes pourraient être évités par un ajustement thérapeutique soigneux», rapporte le Dr Joël Belmin (gériatre, hôpital Charles-Foix, Ivry-sur-Seine). Chez le sujet âgé, la fonction rénale est évaluée par la formule de Cockroft ; certains médicaments sont contre-indiqués ou déconseillés si la clairance de la créatinine est < 30 ml/min (thiazidiques, spironolactone, héparines de bas poids moléculaire). Les posologies des médicaments à élimination rénale doivent être ajustées : c'est le cas des inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC), des sartans et de la digoxine, par exemple.
Une surveillance étroite s'impose.
Au-delà de l'impact de la fonction rénale sur la pharmacocinétique, la réponse à certains médicaments est modifiée chez les sujets âgés. C'est le cas pour les diurétiques, en raison de modifications de la perte de sodium ; avec les vasodilatateurs, du fait d'une défaillance du baroréflexe, ou avec les bêtabloquants.
Les sujets âgés sont ainsi exposés à de nombreux effets indésirables. Parmi les plus fréquents : la déshydratation, l'hypovolémie, l'hyponatrémie, survenant en cas de prise de diurétiques ou de suivi d'un régime sans sel ; l'insuffisance rénale, apparaissant sous régime désodé, diurétiques, IEC et sartans ; la bradycardie et la dysfonction sinusale sous bêtabloquants et digoxine. Sans oublier l'hypotension orthostatique et l'anorexie, fréquemment rapportées avec tous les médicaments à visée cardiaque.
Toutes ces données incitent à la plus grande prudence chez les insuffisants cardiaques âgés, chez lesquels une surveillance clinique, biologique et électrocardiographique étroite s'impose.
D'après les communications des Prs et Drs Thibaud Damy (Créteil), Olivier Hanon (Paris), Joël Belmin (Ivry-sur-Seine) et Michel Komajda (Paris) lors de la session « Insuffisance cardiaque du sujet âgé », organisée conjointement par le Société française de gérontologie et la Société française de cardiologie.
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