Pour cette rentrée 2003, quel projet est digne de nous enthousiasmer ? On nous annonce, à grands renforts de tambours et cornemuses, un « reality show » dont un homme politique serait la vedette.
C'est bien mince pour relancer une vie politique fort morose et un probable déclin de plus pour des institutions qui mériteraient mieux que l'usage commercial qu'on veut en faire. On ne dissertera pas à l'infini sur des dérives sociétales qu'on a déjà suffisamment dénoncées. Tout au plus constate-t-on que la dénonciation, si fréquente, n'empêche pas le mauvais goût triomphant de progresser. Cela se passe comme pour les campagnes de santé publique : on a beau dire aux gros et aux fumeurs qu'ils doivent changer leur hygiène de vie, ils ne renoncent guère à leurs habitudes. Au fond, on trouve son plaisir où on peut et peut-être que le rappel à la vertu, aussi fréquent que pendant la longue période de suprématie des religions, est contreproductif
Vois-tu venir l'orage ?
Mais on voit mal où les politiques trouveraient aujourd'hui leur plaisir. Les membres du gouvernement, dotés d'une majorité parlementaire confortable, ressortent de l'été étrillés par le mécontentement général et les effets de la canicule. Un responsable politique, aujourd'hui, se contente d'observer la météo : il faisait chaud à en crever ; sur Anne, vois-tu venir l'orage ? Enfin, il a plu à torrents, quel soulagement, fût-il provisoire ! C'est fou ce que le pouvoir et la communication du pouvoir peuvent user. Nous voilà revenus de tout, y compris de M. Raffarin et de ses formules.
La vérité est que le gouvernement se débat dans des déficits sans précédent qu'il ne sait pas combler, que la France est contrainte d'aller mendier l'indulgence de la Commission de Bruxelles et, au fond, que nous ne savons pas vraiment où nous allons.
Le drame de la canicule d'août est révélateur à cet égard : personne n'est responsable du temps, la chaleur nous est tombée dessus et c'est infantile d'exiger d'un Premier ministre qu'il nous protège contre la chaleur. Mais il en va de même de la politique économique : c'est la crise qui nous engloutit, fait monter le chômage, assèche les ressources de l'Etat. On peut concevoir les meilleurs plans pour contrecarrer 1 ou 2 % des effets de la récession, mais ce qu'il nous faut, c'est une forte croissance, belle et durable. Et vous verrez alors combien de problèmes on parviendra à résoudre.
Cela suffit à relativiser l'utilité d'une classe politique pourtant pléthorique, qui n'est pas plus futée quand elle est aux affaires que quand elle est dans l'opposition. On ose à peine le dire, tant on est attaché à la liberté d'expression ; mais ce procès permanent fait par la gauche au gouvernement pour les moindres dispositions qu'il prend ne manque pas de lasser lui non plus, d'autant que le langage de la contestation, invariablement outrancier, a fini par rogner ses dards les plus aigus. Ce gouvernement n'est que le complice du patronat (lequel pêche, il est vrai, par manque de discrétion : il aurait mieux fait de ne pas applaudir l'idée de supprimer un jour férié), quand il n'est pas l'ennemi des pauvres, le soutien naturel des puissants, le pouvoir le plus bête du monde, qui ferait luire le soleil excessivement au mois d'août, n'exprime sa compassion pour les mourants qu'avec retard et va jusqu'à trouver un fusible, le directeur général de la Santé, pour s'abriter des conséquences de la crise.
Mémoire courte : quand on a eu quelques responsabilités dans le drame du sang contaminé, quand on n'a pas eu le bon goût d'alerter le pouvoir au sujet d'une chaleur excessive (voilà qui aurait été de l'opposition constructive), on ne donne pas des leçons de santé publique. La gauche peut toujours affirmer qu'avec elle, il n'y aurait pas eu le moindre décès de plus, on peut aussi lui rétorquer qu'elle n'aurait rien empêché.
De la même manière, quand les dirigeants socialistes continuent à nous rappeler qu'ils ont créé, eux, un million d'emplois alors qu'il s'en détruit tous les jours sous l'égide de M. Raffarin, nous savons et ils savent qu'ils ont bénéficié pendant cinq ans de la croissance mondiale, laquelle s'est arrêtée net à peu près au moment où ils étaient évincés du pouvoir. C'est vrai, ils ne l'ont pas mérité, mais où est la justice ? Pas chez eux, qui masquent leurs divisions sous une rhétorique de plus en plus belliqueuse. Les plus raisonnables des dirigeants du PS en sont à hésiter entre la reconstitution du front PS-Verts-PC - dont ne veut plus aucune des trois composantes de l'ex-gauche plurielle - et la tentation d'une alliance avec les effectifs désormais plus fournis des mouvements de l'extrême gauche. Charybde et Scylla. L'imagination n'est certes pas au pouvoir, mais on la cherche vainement dans l'opposition.
La tentation de l'extrême gauche
De sorte que, fatigués d'un gouvernement qui, après nous avoir promis qu'il changerait tout, et dans le langage et dans l'action politique, pour retomber, en réalité, dans l'ornière, décidément profonde, des succédanés traditionnels, nous nous demandons ce que l'avenir nous réserve. En 2002, un pays tout entier s'est dressé contre la menace de l'extrême droite. En 2003, on se demande si le même pays n'a pas envie d'essayer l'extrême gauche. Goguenards, les Krivine, Laguiller et autres Besancenot semblent attendre leur moment. Ils éperonnent le PS et le PC, ils aggravent la crise de crédibilité des Verts, ils parlent beaucoup moins qu'ils n'agissent. Ils ont des relais dans les syndicats de salariés, FO notamment. Ils n'ont pas été complètement étrangers à ce formidable soulèvement contre la réforme des retraites, à la suicidaire révolte des intermittents, au comportement parfois inadmissible des enseignants, ces clients naturels du socialisme que leur fournisseur semble avoir déçus.
Il y a eu, pendant l'été, une atmosphère de guerre civile, avec une surenchère dans la plainte des corporatismes qu'on ne peut pas attribuer au seul ressentiment, à la déconvenue, à l'impatience revendicative. Il y a, dans le combat social, un élément de plus : le désir de refouler, sinon de vaincre, le gouvernement, d'effacer son action réformiste, de le renvoyer au point de départ.
Avec, peut-être l'idée que, si Jacques Chirac est président, c'est aussi grâce au vote de ses adversaires politiques, dont on ne peut pas dire qu'il a tenu compte au lendemain de sa victoire ni plus tard. Mais c'est accorder au peuple un raisonnement collectif qui n'existe pas. Ce qui est plus vraisemblable, c'est que l'extrême gauche, dont les scores de 2002 étaient meilleurs que d'habitude, agit en sous-main dans tous les conflits et qu'elle a décidé de les durcir au-delà de tout ce qu'on pouvait craindre. Il est impossible d'ignorer le contexte du nouveau combat social : la force de l'altermondialisme et l'influence de José Bové ; le regroupement et la radicalisation du terrorisme corse ; l'idée, enfin, que la violence n'est plus contenue par une limite infranchissable mais qu'elle peut et doit participer à la lutte.
Si Raffarin échoue, nous perdons en même temps les chances de réformer le système français. Mais nous courons aussi le risque d'entrer dans une aventure coûteuse et sans lendemain.
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