Distancé par Jacques Chirac dans les sondages, Lionel Jospin ne parvient pas à faire le rétablissement, au sens athlétique du terme, qui lui permettrait de reconquérir l'opinion.
Il n'y a pas eu une circonstance, depuis plusieurs mois, où il ait su prendre l'avantage, ni les attentats du 11 septembre, ni la guerre en Afghanistan. Pendant que M. Chirac caracole sur les bonnes occasions que lui offrent les crises du monde, M. Jospin, cantonné à une gestion de plus en plus difficile des affaires du pays, doit répondre aux doléances des catégories professionnelles, des gendarmes aux médecins en passant par les contrôleurs aériens, et ne peut qu'apaiser les uns ou les autres (tous, sauf les médecins libéraux), qu'en distribuant des milliards particulièrement précieux en ces temps de ralentissement économique.
Le moment préélectoral
Le Premier ministre est victime de la crise de la même manière que, pendant plus de quatre ans, il a abondamment profité de la croissance. N'ayant pas été le catalyseur de celle-ci, il n'est pas davantage responsable de celle-là. Mais la remontée rapide du chômage et le risque de récession tombent au plus mauvais moment, le moment préélectoral.
En revanche, le chef du gouvernement a la totale responsabilité d'un programme de réformes qui n'a pas toujours été bien conçu et dont il paie aujourd'hui les effets indésirables : les Français le créditent avec gratitude de la semaine de 35 heures, mais M. Jospin n'a pas vraiment de quoi la financer, sauf à creuser le déficit ; tenant à l'écart les avis contraires, dont celui de M. Chevènement, qui tire aujourd'hui un dividende élevé de sa démission du gouvernement, il a lancé une réforme du statut de la Corse, avec une détermination certes profonde, mais dont il subira les conséquences.
Non seulement sa majorité plurielle se présente aujourd'hui comme une sorte de cour d'école où les gosses se font des coups pendables (la haine entre les Verts et les chevènementistes semble inexpiable et la bouderie des communistes frôle la désertion), mais ces lois que M. Jospin fait adopter en ses derniers mois de règne seront d'autant plus faciles à défaire qu'elles ont été imposées plus que souhaitées. On pense à la Corse, bien sûr, mais aussi à la réforme de la justice, et encore aux réformes que le Premier ministre n'a pas faites, comme celles de la Fonction publique ou des retraites, et qui exigeaient pourtant un traitement rapide.
Aujourd'hui, soucieux de ne mécontenter personne, surtout dans ce qu'il est convenu d'appeler son électorat naturel (enseignants, fonctionnaires, travailleurs syndiqués), M. Jospin en est réduit à adopter, paradoxalement, un profil bas, à payer là où ça coince, et à laisser M. Chirac chevaucher ses grands dadas de politique extérieure.
Le chef du gouvernement semble atteint d'une sorte de timidité, pire, du doute : peut-être, pour ménager ses Verts si encombrants ou la gauche agitée de son propre parti, n'a-t-il pas dit le fond de sa pensée, sur le terrorisme, sur un soutien aux Américains toujours mal vu en France, sur la crise du Proche-Orient, où la dernière fois qu'il a appelé les terroristes par leur nom, il a été lapidé ? Avec le recul du temps, il est clair que, s'il a bridé un tempérament dont la poutre est la sincérité, il a eu tort. A ménager la chèvre et le chou, on ne brille pas face à l'opinion. La politique a de plus en plus besoin d'orateurs qui ne mâchent pas leurs mots, expriment leur personnalité réelle au lieu de soigner leur image, et, surtout, prononcent les paroles qui conviennent aux situations scandaleuses.
Il est vrai que nous sommes dans une époque, ou dans un monde, qui sollicite l'indignation plusieurs fois par jour, et qu'on s'épuise à s'indigner vainement pendant que meurent les innocents. Mais l'opinion ne pardonne pas aux hommes d'Etat qui se fatiguent. Or, c'est vrai, M. Jospin a l'air très las, quand M. Chirac, lui, respire la santé et la joie de vivre.
Tel est le tableau, tracé à larges traits, du rapport de forces politique d'aujourd'hui. Bien entendu, annoncer que M. Jospin va perdre les élections de l'an prochain serait une sottise. Il suffit de se souvenir qu'en janvier 1995, Edouard Balladur devançait largement Jacques Chirac.
Il n'est pas impossible que le Premier ministre ait reculé pour mieux sauter, qu'il nous prépare une surprise, qu'il se lancera dans la campagne, à l'heure qu'il aura choisie, avec une énergie et un pouvoir de persuasion d'autant plus efficaces que la campagne sera courte. Il se peut aussi que M. Chirac trébuche sur un événement imprévu, comme on l'a vu quand il était littéralement traqué par la justice. Enfin, il n'est pas absurde d'imaginer que la candidature de Jean-Pierre Chevènement pourrait affaiblir M. Chirac au second tour.
On notera, pour conclure, une sorte de continuité dans l'influence de l'économie sur le destin des candidats. Le président de la République a commis une erreur historique lorsqu'il a dissous l'Assemblée en 1997. Accablé par de sombres projections économiques, il s'est cru acculé à la dissolution et à des élections anticipées qui n'ont fait qu'achever sa majorité.
M. Jospin est aujourd'hui dans un cas de figure assez semblable : il a vainement creusé le déficit pour s'attirer les bonnes grâces du peuple, mais il sait que la croissance sera au plus bas au moment précis des deux grands scrutins de l'an prochain et, très probablement, à quelques mois à peine d'un rebond dont profitera la nouvelle majorité. Il pourrait donc aller au combat la mort dans l'âme et il ne serait vaincu que par la conjoncture, M. Chirac étant choisi par défaut et par besoin de changement. Malheureusement, la croissance est, quoi qu'en disent les hommes politiques, le seul domaine sur lequel ils n'aient aucune influence. C'est pourtant elle qui décide de leur sort.
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