Une aire cérébrale des émotions est mise en évidence par une équipe française

Publié le 04/12/2003
Article réservé aux abonnés

Quelles sont les zones cérébrales impliquées dans les émotions ? Existe-t-il chez les sujets déprimés une différence du traitement neurologique indicative de désordres émotionnels ? Philippe Fossati (PHU et chercheur au laboratoire « vulnérabilité, adaptation et psychopathologie », CNRS UMR 7593, Pitié-Salpêtrière, Paris), en collaboration avec des chercheurs canadiens de Toronto, s'est attaché à répondre à ces questions.

Les expériences ont commencé à Toronto en 2000, chez dix sujets en bonne santé auxquels on a fait réaliser un exercice mental impliquant une mise en jeu émotionnelle, tout en enregistrant leur activité cérébrale par IRM fonctionnelle.
On induit des évocations chargées émotionnellement, sous la forme de mots décrivant des traits de personnalité positifs (généreux, gentil...) et négatifs (susceptible, avare...), tandis que les activations cérébrales sont enregistrées par IRM fonctionnelle. Les réactions ont été enregistrées dans trois conditions différentes. Dans la première, dite « relative à soi » (self ou personnelle), les sujets devaient juger si les traits s'appliquent à eux-mêmes. Dans la deuxième (condition générale), on leur demandait de juger s'il était bien ou non de posséder chacun de ces traits de caractère. Dans la troisième, neutre (contrôle de réponse motrice), ils devaient simplement indiquer la présence d'une lettre dans le mot. Un exercice de mémorisation était ensuite demandé pour s'assurer que les sujets avaient bien prêté attention au test lorsqu'ils étaient dans l'appareil d'IRM, partant du fait qu'on s'est aperçu que « lorsque les mots sont référés à soi-même, ils sont mieux mémorisés ».
Les résultats (publiés dans le dernier numéro de l'« American Journal of Psychiatry »*) font apparaître l'activation bilatérale d'une zone antérieure et interne du cerveau, le cortex médial préfrontal (CMPF), en relation avec un déclenchement par les mots à composante émotionnelle, mais seulement dans la première situation, lorsqu'est fait référence au « self ». La condition générale n'allume pas le CMPF, mais d'autres aires, plus externes. Le cerveau fait donc la différence quand l'émotion est référée à soi-même.
La mise en jeu du CMPF semble faire partie des régions impliquées dans les circuits neurologiques qui donnent une coloration personnelle au traitement de l'information émotionnelle, explique au « Quotidien » le Dr Fossati. Par ailleurs, il n'existe pas de différence lorsque le mot a une connotation positive ou négative, ce qui veut dire que la région CMPF n'est pas spécialisée dans un type d'émotion, mais qu'elle « sert à intégrer les expériences émotionnelles dans l'histoire personnelle des sujets ».
Une des implications pratique de ces résultats concerne la psychothérapie, dont l'une des utilités est d'intégrer les émotions pour en réduire l'impact et les conséquences, poursuit le praticien.

Des particularités chez les déprimés

L'expérience a été poursuivie dans le laboratoire du Dr Fossati auprès de patients déprimés ou vulnérables à la dépression. Les résultats sont en cours de publication après des présentations lors de colloques (notamment par posters). Ils montrent une activation de la même région médiofrontale CMPF, mais avec une moins bonne différenciation entre les deux épreuves. Autrement dit, les patients ont tendance à « personnaliser » leur expérience dans tous les cas, qu'elle soit référée à eux-mêmes ou à des notions générales. Et l'on constate que cette personnalisation est d'autant plus marquée (les différences d'activation sont moindres) que les mots sont chargés négativement ; il existe une plus faible réactivité pour les mots chargés positivement.
Ce qui fait dire aux auteurs que tout se passe comme si le déprimé « s'était spécialisé dans le traitement des émotions négatives ».
On pourrait attendre de la psychothérapie et des antidépresseurs qu'ils « permettent au cerveau de perdre cette spécialisation et de retrouver une souplesse émotionnelle ».
Il existe des projets pour poursuivre les études en présence ou non d'un traitement antidépresseur, ou d'une psychothérapie. « Il existe un avenir pour des applications de cette technique. A terme, on pourrait réaliser des traitements sur mesure, en les ajustant aux besoins cérébraux des malades, l'IRM permettant de déterminer les spécificités des malades et les effets des traitements. »

* N° 160, 11 novembre 2003.

Dr Béatrice VUAILLE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7440