EN OCTOBRE 2004, l'encadrement du pôle France Judo d'Orléans informe le service de dermatologie du centre hospitalier régional de la survenue de tricophyties cutanées chez plusieurs de ses athlètes. Devant l'ampleur de l'épidémie, les spécialistes du CHR, les Drs Eric Estève et Didier-Marc Poisson, mettent en place un protocole de prise en charge des lésions. « Le nombre important d'athlètes atteints, la complexité de la prise en charge et la notion d'une très probable endémie nationale nous font rapporter notre expérience », expliquent les auteurs, qui, en collaboration avec les membres de la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées, décrivent leur expérience dans le « BEH » (n° 34/2005).
« Il s'agit de la plus grande série mondiale rapportée à ce jour chez les judokas », soulignent-ils.
Du 6 octobre 2004 au 7 avril 2005, tous les nouveaux cas suspectés ont été examinés au CHR d'Orléans par le même dermatologue, le Dr Estève. L'épidémie a donné lieu à 81 consultations au cours desquelles 68 épisodes de lésions actives ont été relevés chez 49 (45 garçons et 4 filles) des 113 compétiteurs du pôle. Il s'agissait de 49 primo-contaminations et de 19 recontaminations. Plusieurs vagues d'épidémie se sont succédé durant neuf mois « rythmés par les compétitions ».
Conformément aux épidémies rapportées dans la littérature, principalement chez des lutteurs (infections à Tinea corporis gladiatorum), l'aspect clinique des lésions est souvent atypique : plaques érythémateuses inflammatoires, squameuses ou non, prenant peu souvent l'aspect annulaire ou arrondi évocateur. Cette particularité s'explique par la fréquence de traitements antérieurs, la présence de traumatismes cutanés, le port de strapping pour occulter les lésions, mais aussi la précocité de la prise en charge. Le germe en cause, retrouvé dans tous les prélèvements positifs (48/68), est, lui aussi, habituel : Tricophyton tonsurans var sulfureum.
D'autres caractéristiques sont, dans cette série, plus spécifiques. La topographie des lésions est particulière à la pratique du judo. Le plus souvent, elles siègent sur les avant-bras (31 cas), la face antérieure du tronc (25 cas), le cuir chevelu (24 cas), la face et le cou (23 cas), les bras (14 cas), la face postérieure du tronc (12 cas), les jambes, cuisses et fesses (11 cas), le dos du pied (2 cas). « Cela s'explique par l'importance de la saisie du kimono qui permet au judoka ayant bien positionné ses mains d'effectuer plus facilement ses mouvements d'attaque. Dans cette phase, les avant-bras sont en contact étroit, prolongé et volontiers traumatique avec la nuque, le cou, voire le haut du thorax et le visage », expliquent les auteurs.
La source essentielle de transmission semble être le contact d'homme à homme, plutôt que les tapis, qui ont souvent été incriminés. La fréquence de l'atteinte du cuir chevelu est une donnée nouvelle, rarement décrite. Une étude japonaise a cependant montré que T. tonsurans pouvait être isolé sur les brosses à cheveux de judokas asymptomatiques.
Dans cette série, de multiples éléments ont pu favoriser la contamination : intensité et régularité des entraînements parfois communs (réunions de toutes les catégories), fréquence des tournois et des compétitions qui favorisent le corps-à-corps. Une enquête, diligentée en raison du nombre élevé d'athlètes touchés dans le pôle cadets/juniors masculins (38/44, soit 86 % des judokas de la catégorie), a permis de mettre en évidence un facteur propre à la structure : l'absence de douche systématique après chaque entraînement. Cette pratique était favorisée par la vétusté des installations et le manque de temps entre la fin des entraînements et les dîners servis à l'internat.
Prévention et information.
La prise en charge des tricophyties cutanées peut se révéler difficile car elle suppose une éviction temporaire, de 7 à 14 jours, « toujours mal vécue » par l'athlète, surtout à l'approche d'une compétition. De plus, un traitement systémique associé au traitement local est souvent nécessaire. « Nous avons relevé fréquemment au début de l'épidémie des lésions cliniquement actives et positives en culture chez des judokas traités par des topiques », notent les auteurs.
A la suite de cet article, plusieurs communications japonaises ont fait état du même problème, ce qui tend à montrer qu'il s'agit d'un problème émergent dans le judo de haut niveau. Une campagne de prévention et d'information est prévue dans les différents centres d'entraînement français dans le courant du mois de septembre.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature