CHRISTIAN ET OLGA Baudelot sont mariés depuis quarante ans. Et ont toujours tout mis en commun. Aussi, quand Olga Baudelot atteint le stade terminal d'une insuffisance rénale liée à une polykystose rénale, la question d'une greffe à partir d'un donneur vivant, son mari, donneur universel, apparaît à tous deux la meilleure, voire la seule solution envisageable. Une solution évidente, particulièrement pour le donneur, qui affirme être mu par un «altruisme intéressé», pour éviter de voir sa femme vivre une longue descente aux enfers comme l'a été avant elle sa mère atteinte de la même maladie, pour pouvoir continuer à vivre de la même façon, enfin, parce qu'un «rein, ce n'est rien» quand on en a deux qui fonctionnent normalement ! Pour ces deux universitaires qui partagent tout, y compris leur portable, il paraît logique de mutualiser leurs moyens, de «donner un coup de rein», comme l'écrit Christian Baudelot, pour que sa femme guérisse. Et d'écrire cette «promenade de santé» à deux voix distinctes. Pour raconter ce qui a finalement été un véritable parcours du combattant pour parvenir à la greffe elle-même, pour témoigner des rencontres médicales encourageantes et de celles qui l'étaient moins, des informations qu'il faut aller chercher soi-même, de la lourdeur du dispositif, de la solennité et de l'utilité du passage du donneur devant le comité d'experts, mais également des douleurs, de la peur, de l'attente. «L'opération est lourde, chirurgicalement bien sûr, mais symboliquement aussi. Il ne s'agit pas de m'enlever un cor au pied. J'avais souvent tendance à l'oublier», écrit le donneur.
Réfléchir plutôt qu'émouvoir.
Leur récit, dans ses aspects factuels, n'est pas là pour émouvoir ni uniquement pour parler de leur couple et de leur histoire, mais pour réfléchir, comprendre le bien-fondé de certains aspects du parcours et tenter d'en décrypter les différentes phases. Pour analyser aussi cette apparence de fausse simplicité du don, fût-ce d'un rein quand on en a deux, cette notion de gratuité, ce qu'implique ce geste dans les relations. Pour analyser le syndrome dit de résurrection précédant souvent la presque incontournable réaction de déception, voire d'agressivité, après la greffe et l'intérêt de se faire aider par un psychologue, ce qu'avoue avoir fait C. Baudelot après avoir douté. Pour déplorer, arguments personnels, mais aussi plus généraux à l'appui, la lenteur du développement de cette pratique en France. Près de trois donneurs sur quatre sont des parents ou des frères et soeurs du receveur. La greffe à partir de donneur vivant permet de réduire le délai entre l'indication de la greffe et sa réalisation (en moyenne six mois). «La greffe cesse d'être une affaire d'État pour devenir une affaire de famille avec ses composantes affectives. (…) Si bien que le fameux altruisme, si vivement célébré tout au long du parcours, s'inscrit dans cet égoïsme collectif que représente l'intérêt bien compris du bonheur familial», écrivent-ils ; soulignant aussi au passage que, en France, la transplantation n'est pas (encore) une affaire de riches pour s'interroger sur son devenir au cas où nous abandonnerions notre système pour un système qui reposerait sur l'assurance individuelle.
C. et O. Baudelot nous offrent à la fois une analyse de l'intimité face à la maladie et une réflexion largement documentée – on ne se refait pas – sur la greffe en général, pointant les différences de chacun des processus, les implications sur les greffés et leur vie après le geste. Christian Baudelot, qui a longuement étudié le don et la dette dans ses travaux de sociologie, analyse ainsi de façon passionnante cette question du contre-don à la lumière de son expérience personnelle.
Christian et Olga Baudelot, « Une promenade de santé. L'histoire de notre greffe », Récit Stock, 18,50 euros, 230 pages.
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