PRATIQUE
Frissons, céphalées et myalgies
M. G. X., 34 ans, sans antécédent en dehors d'un asthme traité par Sérévent et Bécotide et d'un tabagisme estimé à trente paquets-année, a séjourné pour son travail (chauffeur routier) au Sénégal pendant environ deux mois et demi à la saison humide. Durant le premier mois de son séjour, il a pris de la chloroquine à raison de 100 mg/j consciencieusement puis l'a interrompue par manque de motivation. Environ huit jours après cette interruption, il présente brutalement des frissons avec céphalées et myalgies ; des accès hyperthermiques peuvent se reproduire plusieurs fois dans la journée. Il décrit des périodes de rémission pouvant durer parfois une semaine. Ce tableau persiste toujours lorsqu'il rentre en France, ce qui l'amène à consulter aux urgences de l'hôpital le plus proche de son domicile, sans aucune auto-médication particulière.
A l'entrée, on note l'existence d'un syndrome méningé fébrile (température rectale à 39,8 °C), une splénomégalie et une auscultation pulmonaire et cardiaque normales. Ce patient est célibataire et l'interrogatoire ne révèle pas de rapports sexuels non protégés durant son séjour en Afrique. Les vaccinations ont été correctement réalisées avant son départ.
La biologie d'entrée objective un discret syndrome biologique inflammatoire (CRP à 15 mg/l) et une hyperleucocytose à 16 000/mm3 avec polynucléose neutrophile sans éosinophilie. Il n'y a pas d'anémie ni de thrombopénie et le bilan hépatique est normal. La ponction lombaire révèle l'existence d'une méningite lymphocytaire (425 leucocytes/mm3, dont 87 % de lymphocytes, associée à une protéinorrachie à 0,87 g/l dont le profil électrophorétique est normal et une glycorrachie normale par rapport à la glycémie). La radiographie de thorax est normale.
Question 1. Quel(s) diagnostic(s) évoquez-vous d'emblée chez ce patient ?
a) amibiase hépatique ;
b) méningococcémie ;
c) pneumonie à pneumocoque ;
d) accès palustre ;
e) séroconversion à VIH.
Question 2. Ce diagnostic n'est pas confirmé par les résultats de la première série d'examens complémentaires. La culture du LCR revient stérile. L'électroencéphalogramme objective l'existence d'ondes lentes diffuses pouvant faire évoquer des signes d'encéphalite discrets sans focalisation. L'IRMN cérébrale est cependant normale. Quel(s) diagnostic(s) retenez-vous parmi les suivants ?
a) séroconversion à VIH ;
b) encéphalite herpétique ;
c) trypanosomiase ;
d) maladie de Lyme ;
e) fièvre jaune.
Question 3. Ces diagnostics ne sont toujours pas confirmés par les données des examens complémentaires. Finalement, le diagnostic est apporté par le laboratoire qui visualise sur le frottis sanguin la présence d'une bactérie évoquant un spirochète. Quel(s) est(sont), selon les données épidémiologiques et cliniques dont vous disposez maintenant, le(s) diagnostic(s) le(s) plus probable(s) ?
a) maladie de Lyme ;
b) syphilis secondaire ;
c) fièvre récurrente à tique ;
d) leptospirose ;
e) fièvre récurrente à pou.
Question 4. Quel(s) traitement(s) proposez-vous à ce patient ?
a) ceftriaxone 1 g/j pendant sept jours ;
b) amoxicilline I.V. 3 g/j pendant sept jours ;
c) doxycycline I.V. 200 mg/j pendant sept jours.
Réponses question 1 : d), e)
Il faut par principe évoquer, chez ce patient fébrile au retour d'un séjour dans une zone impaludée, la possibilité d'un accès palustre dans sa forme pernicieuse ou neuropaludisme. La réalisation en urgence du frottis-goutte épaisse est donc indispensable dans cette situation. La prophylaxie suivie par ce patient n'était pas adaptée (chloroquinine pour une zone à haute prévalence de chimiorésistance) qui plus est a été interrompue prématurément. Il faut cependant noter que la présentation clinique de ce patient pour le diagnostic de neuropaludisme est quelque peu discordante : la fièvre est de type intermittente mais à intervalles courts (se répète plusieurs fois au cours de la journée), et il existe des périodes de rémission prolongées de plusieurs jours. D'autre part, le neuropaludisme se présente rarement sous la forme d'un tableau clinique de méningite isolée mais plutôt sous la forme de troubles de conscience (coma) ou de comportement avec troubles du tonus musculaire et parfois des convulsions.
La séroconversion à VIH doit être évoquée de principe même si les données de l'interrogatoire sont négatives.
Les autres propositions sont peu adaptées compte tenu de l'absence de syndrome biologique inflammatoire (amibiase hépatique), la normalité de l'auscultation pulmonaire et de la radiographie de thorax (pneumonie à pneumocoque) et d'anomalies cutanées en particulier de purpura (méningococcémie).
Réponses question 2 : a), d)
La séroconversion à VIH ne peut pas être éliminée même si l'on dispose à ce stade d'une sérologie ELISA négative en raison du délai variable de séroconversion. En revanche, l'antigénémie p24 négative dans le LCR serait un argument utile pour éliminer cette pathologie.
L'encéphalite herpétique paraît difficilement en cause du fait de la durée de l'évolution des signes cliniques avant l'admission. En outre, l'IRMN devrait être anormale à ce stade et les anomalies EEG plutôt localisées en région temporale que diffuses.
La trypanosomiase africaine est une maladie exceptionnelle chez les non-autochtones et il n'y a pas d'élévation des IgM dans le LCR de ce patient.
La maladie de Lyme (endémique en Europe et en Amérique du Nord mais existe dans tous les continents) ne peut être éliminée malgré l'importance de la fièvre, alors qu'il n'y a pas de lésion cutanée évocatrice d'une érythème chronique migrant, et l'intensité de la réaction cellulaire dans le LCR dépassant largement la centaine d'éléments.
Le profil biologique n'évoque pas la fièvre jaune chez ce patient vacciné.
Réponses question 3 : c), e)
La présence d'une bactérie type spirochète dans le sang de ce patient évoque trois types de diagnostic : les borrélioses, la syphilis et la leptospirose.
Bien que le sérodiagnostic de la maladie de Lyme revienne positif en ELISA, avec la présence sur le western-blot d'un profil incomplet avec anticorps de bande 41 de type IgM, ce diagnostic reste cependant discutable pour les raisons vues avant à la question 2, et il pourrait donc s'agir d'une réaction croisée.
La syphilis dans sa forme secondaire paraît peu probable du fait de l'absence de lésion cutanée évocatrice.
Le tableau présenté pourrait faire évoquer une leptospirose dans sa forme méningée pure mais le profil inflammatoire serait plus marqué dans cette infection et l'évolution moins étalée dans le temps que dans le cas présenté.
Le début brutal pseudo-grippal, la présence d'une splénomégalie, le profil de la fièvre avec récurrences répétées, une sérologie incomplète pour la borréliose de Lyme et la notion d'un séjour en zone tropicale sont évocateurs d'une borréliose dans sa forme de fièvre récurrente à tique ou à pou.
La transmission est assurée par le vecteur par morsure ou plus rarement par l'intermédiaire de déjections.
La phase initiale est bactériémique avec séquestration dans un second temps dans les organes profonds de bactéries dont les variants antigéniques échappant à la réaction immune vont être responsables des récurrences cliniques ultérieures. Les complications les plus fréquentes sont d'ordre ophtalmologique (iridocyclite et plus rarement névrite optique). La forme cosmopolite à pou ( B. recurrentis) est de moins bon pronostic et touche plus volontiers les populations autochtones évoluant dans des conditions d'hygiène précaires. Le diagnostic de certitude repose sur la mise en évidence des anticorps spécifiques de type IgM ou l'utilisation d'une PCR.
Réponses question 4 : a), b), c)
Le traitement de cette affection n'est pas parfaitement codifié. Il repose sur l'administration pendant 5 à 10 jours d'une pénicilline ou d'une céphalosporine de 3e génération, d'un macrolide ou d'une cycline. L'isolement des patients et le traitement de la pédiculose doivent être associés.
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