L 'ORDONNANCE vient de tomber sur le comptoir : « Faire préparer 50 gélules à 50 mg de DHEA. » Ici, la prescription ne surprend personne. « Vos gélules seront prêtes demain », s'entend dire la cliente. Dialogue banal, ou presque, entendu dans une pharmacie. Si la DHEA n'a pas d'AMM en France, et donc pas d'indication officielle, elle est néanmoins disponible dans une dizaine d'officines de l'Hexagone.
Comme l'explique un des pharmaciens pourvoyeurs du précieux produit, c'est « un certain vide juridique » qui permet de vendre de la DHEA, sous la forme restrictive de préparation magistrale. Il s'appuie sur un courrier de Michel Ballerau, secrétaire général de l'AFSSAPS, en date du 8 août 2000 : « En l'absence d'AMM, les produits composés de DHEA ne peuvent être commercialisés ou distribués en France », écrit-il, mais « dans l'hypothèse où la DHEA et la prégnénolone ne sont pas destinées à être administrées en l'état, mais demandent une opération pharmaceutique, tel un conditionnement en gélules, par exemple, ces substances peuvent être considérées comme des produits vrac destinés à des préparations magistrales et ne sont pas soumises à autorisation particulière ».
En provenance de Chine
Non soumises à autorisation, les préparations magistrales à base de DHEA sont, de fait, autorisées. Ainsi, alors qu'aucune spécialité de DHEA ne peut légalement franchir nos frontières, des gélules à base de la même substance sont légalement fabriquées dans nos officines.
Une pratique réprouvée par Bernard Capdeville, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France : « En l'absence de monographie, et de notions sûres concernant les effets à court, moyen et long terme de la molécule », les pharmaciens, « même en présence d'une prescription médicale », devraient s'abstenir de délivrer de la DHEA, a-t-il affirmé sur Europe 1, en ajoutant qu' « un vide juridique n'est pas une autorisation en pointillé ».
La préparation magistrale est autorisée, mais pas n'importe laquelle : pas question de préparer crème ou onguent à base du fameux stéroïde, même sur prescription médicale. La réponse de la direction générale de la Santé à une question d'un inspecteur de la pharmacie, en date du 13 décembre 2000, est claire sur ce point : « L'utilisation de la DHEA dans les produits cosmétiques est (...) i nterdite, cette substance étant de nature hormonale. »
Et la matière première ? « Il n'y a pas d'interdiction sur la vente de matières premières en France », explique Alain Montel, P-DG de la société DB3 basée à Marseille, qui distribue la DHEA aux pharmacies françaises et exporte vers l'Espagne et la Grande-Bretagne. « Notre fournisseur de DHEA est chinois, nous avons mis six mois à le choisir parmi les quatre grands producteurs asiatiques. Notre DHEA est obtenue, comme dans la plupart des cas, après transformation des diosgénines extraites de dioscorées. »
Une demande sans cesse croissante
Quant aux contrôles réalisés sur la matière première, à défaut d'être spécifiés par la Pharmacopée, ils sont laissés au libre choix du fabricant. Chez DB3, où, ces deux derniers mois, on a déjà vendu 25 kg de DHEA (de quoi fabriquer 500 000 gélules dosées à 50 mg), on tient à préciser que des contrôles d'identification et des recherches de résidus sont pratiqués systématiquement. En outre, la société invite vivement ses clients pharmaciens à utiliser des kits d'identification dès réception de la matière première.
En France, la préparation de gélules de DHEA (25 ou 50 mg), qui a débuté en octobre 2000, n'est pas encore généralisée. « La pression médiatique a été telle autour des travaux du Pr Etienne-Emile Baulieu que la demande s'est sensiblement accrue ces derniers mois », explique un autre pharmacien parisien, qui déclare honorer aujourd'hui au moins une prescription de DHEA par jour. Actuellement, la plupart des consommateurs français de DHEA se fournissent directement à l'étranger, par VPC ou sur Internet. La filière des préparations magistrales est encore confidentielle et pourrait le rester, l'Ordre des médecins ayant invité clairement les prescripteurs à ne pas répondre à la demande des patients (« le Quotidien » du 12 avril).
« Vieillissement cutané, prévention de l'ostéoporose, amélioration de la libido, la DHEA souffre en fait de sa pluripotence », déplore le Pr Etienne-Emile Baulieu.
Pourtant, plusieurs études menées depuis plus de quinze ans ont permis d'accumuler des preuves scientifiques des potentialités de la molécule. Parfois contestées, elles restent encore à préciser avec la large étude DHEâge en cours (« le Quotidien » du 4 janvier 2001, notamment).
Des obstacles à l'AMM
Combien de temps la DHEA restera-t-elle sans AMM ? Les freins sont nombreux, estime le Pr Etienne-Emile Baulieu : « La molécule est d'origine naturelle, donc difficilement brevetable, elle est peu coûteuse, donc peu rentable, et, surtout, la constitution d'un dossier d'AMM supposerait de choisir parmi les diverses pistes offertes par la molécule. »
Surmontant ces obstacles, un petit laboratoire français serait pourtant déjà « monté au créneau » en présentant un dossier de demande d'AMM à l'AFSSAPS. Sans succès. Les Laboratoires Galderma (filiale de L'Oréal), qui développent dans le plus grand secret une « crème » à base de DHEA, auront-ils plus de chance ? L'avenir le dira.
(1) « Le Monde » du samedi 17 mars 2001.
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