«LES ANNÉES se suivent et la situation s’aggrave», constate, un rien désabusé, Paul Castel, le président de la Conférence des directeurs généraux de CHU. A son grand dam, l’exercice d’introspection auquel se livre annuellement son organisation se renouvelle peu : les finances des CHU ne vont pas bien et, avec le nouveau Plfss (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), les perspectives ne sont pas très riantes pour 2007.
Sur la base de projections partielles – elles ne concernent que 22 des 31 CHU –, les directeurs généraux estiment qu’il va leur manquer à la fin de l’année au moins 244 millions d’euros pour boucler leurs budgets. «Cette insuffisance de crédits est l’équivalent du prix d’un hôpital neuf de court séjour de 700lits, tout équipé», indique Paul Castel, pour donner la juste mesure des choses. Ce « trou » prend cette année un relief particulier puisque, pour la première fois, il n’est pas question pour les gestionnaires de l’hôpital public en général et des CHU en particulier de recourir à l’artifice du report de charges sur l’exercice suivant (une pirouette aussi appelée « cavalerie budgétaire »). Les Eprd (états prévisionnels des recettes et des dépenses) sont passés par là, qui interdisent désormais ce genre de gymnastique comptable. La seule possibilité laissée aux établissements est de puiser dans leurs fonds de roulement.
Mais, problème, tous – loin s’en faut – ne disposent pas de tels matelas. Et pour ceux qui n’ont pas de provisions constituées, les choses se corsent. Ou plutôt elles se simplifient d’elles-mêmes puisqu’il ne leur reste plus qu’une solution : annuler des investissements programmés.
Avec deux conséquences : des travaux de modernisation, de rattrapage des normes de sécurité vont être annulés dans les CHU et, si cela ne suffit pas, il y aura des gels de postes ; les établissements vont entrer dans une dynamique infernale. «Nos marges de trésorerie, déjà considérablement réduites par la T2A (tarification à l’activité, ndlr), vont être constamment rognées; nous allons nous retrouver dans la situation qui était la nôtre au temps du prix de journée; nos établissements vont entrer à nouveau dans un cycle de mauvais payeur...», s’inquiète Paul Castel.
Non à la politique « su-sucre ».
Pour conjurer le sort, la Conférence demande au gouvernement de débloquer au plus vite la part de l’enveloppe hospitalière qu’il retient depuis le début de l’année, précisément pour les plans ponctuels ou les cas d’urgence. «Cette politique n’est pas correcte, déplore son président, on ne peut pas faire du saucissonnage de calendrier et de répartition des crédits. Pour nous, directeurs, cette démarche du “su-sucre” est complètement déresponsabilisante.»
Les pilotes des CHU jugent d’autant plus indispensable d’apurer leurs comptes en 2006 que 2007, avec un projet d’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance-maladie) hospitalier à +3,5 %, s’annonce mal. «On s’achemine vers des difficultés comparables à celles de l’année en cours, confirme Paul Castel. La FHF (Fédération hospitalière de France) avait chiffré à 4,21% les besoins de l’hôpital public hors mesures nouvelles et en particulier hors le coût du protocole en cours de signature avec la fonction publique hospitalière et qui coûtera 500millions d’euros sur trois ans, dont 280millions dès 2007 –je rappelle qu’un tiers de ces dépenses concerneront les CHU.»
Non contents d’exiger les moyens financiers de leur fonctionnement, les directeurs militent aussi pour une réforme «plus courageuse, moins timorée» de la gouvernance hospitalière. «Il faut aller plus loin, plaide Paul Castel, car au fil des négociations diverses, sous le coup de blocages dus aux corporatismes des uns et des autres, une bonne partie de la réforme a été mise en panne. Or nous avons besoin d’outils de management beaucoup plus réactifs. Notre éthique de service public –et attention, nous la défendons– ne nous oblige pas à fonctionner selon des modèles datant des années cinquante.»
Réunis en assises nationales à Marseille les 18 et 19 janvier prochain, les CHU feront des propositions de modernisation de leur boîte à outils manageriale.
A la recherche du temps médical perdu
Il s’agit d’un tout nouveau sujet de préoccupation pour les CHU : faute de créations de postes en nombre suffisant et sous l’effet des diverses réformes d’aménagement du temps de travail (35 heures, intégration de la garde, repos de sécurité...), le « temps médical » leur fait défaut. Comme si les déficits budgétaires ne suffisaient pas, les CHU se découvrent donc un nouveau « trou » dont leurs présidents de CME, réunis en conférence, font désormais un cheval de bataille.
«Les pouvoirs publics doivent donner aux établissements qui le souhaitent la possibilité de créer des postes de médecin, explique le Pr Pierre-Antoine Fuentes, qui préside cette conférence, et ils doivent réfléchir à la notion de “temps consacré aux soins” par les médecins des CHU. Car les choses ont changé. Les spécialités médicales sont de plus en plus nombreuses où les conditions d’exercice n’ont plus rien à voir avec le soin; dans tous les domaines, avec les vigilances, l’accréditation, la gestion des risques, l’EPP, les médecins consacrent désormais une part importante de leur activité à des activités sans rapport direct avec les soins; s’ajoute à cela le cas des praticiens qui s’investissent dans des tâches d’utilité publique ou de gouvernance. Toutes ces évolutions, nous les avons voulues, mais elles représentent autant de temps médical en moins. Et le déficit est sans doute plus important dans les CHU que dans d’autres établissements.»
Ce problème inquiète d’autant plus les présidents de CME que les perspectives de la démographie médicale ne sont pas bonnes. Ils se donnent donc comme tâche pour les années à venir «de donner envie aux plus jeunes de venir travailler en CHU plutôt qu’ailleurs». La conférence réfléchit déjà à une campagne d’information du grand public sur ce thème. Elle va militer auprès du gouvernement pour que le blason du statut des hospitalo-universitaires – qui pèche particulièrement aujourd’hui en matière de protection sociale – soit redoré.
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