EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale) a donné lieu à une bataille exemplaire. Pratiquement personne ne s'était aperçu de sa création par décret ; des associations militant pour les droits de l'homme l'ont fait sortir de l'anonymat ; l'opposition s'en est emparée et des membres du gouvernement, d'Hervé Morin à Rama Yade, ont exprimé leurs réserves. Le Premier ministre, François Fillon, avait réprimandé M. Morin, mais l'affaire est allée plus vite que l'éclair : quand Rama Yade, à son tour, a poussé les soupirs qui siéent à la secrétaire d'État aux Droits de l'homme, le chef du gouvernement n'avait plus aucun argument pour la faire taire. M. Sarkozy était passé par là.
Indignation et hypocrisie.
Il n'est pas inutile de rappeler quelques faits irréfutables si l'on veut mesurer ce qui, dans l'indignation générale, relève de la sincérité et ce qui relève de l'hypocrisie : il y a toujours eu en France un fichier des renseignements généraux ; pour ne prendre qu'un exemple, à peu près tous les journalistes sont fichés. On peut le regretter, mais la fiche que détient sur eux le ministère de l'Intérieur ne les empêche pas de vivre. En outre, de tout temps, n'importe quel moyen a toujours été bon, aux yeux de n'importe quel gouvernement, pour accumuler les renseignements sur tous les individus qui ont, peu ou prou, une vie publique, artistes, écrivains, leaders syndicaux, hommes et femmes politiques, hauts fonctionnaires. On se souvient du scandale des écoutes de l'Élysée, à l'époque de François Mitterrand. Il est donc quelque peu hypocrite de « découvrir » ce que fait le gouvernement de M. Fillon, qui n'a guère innové en la matière.
SARKOZY SACRIFIE SES MINISTRES A SA POPULARITE
L'existence d'un fichier est-elle indispensable pour préserver l'ordre public ? On imagine que, avant de nommer un nouveau ministre, un président ou un Premier ministre s'assure qu'il n'a pas une tâche indélébile sur son passé. Mais il est évident qu'il ne sera pas difficile d'étouffer la voix d'un journaliste s'il a un casier judiciaire ou une vie privée compliquée. Seuls les naïfs continuent à croire que la vie personnelle d'un personnage en vue n'est pas épluchée par les renseignements généraux et qu'un adultère n'est pas un moyen de chantage, même s'il semble rarement utilisé. Bref, toute cette activité occulte est un peu la mycose des démocraties : qu'elle soit nécessaire ou non, il est difficile de s'en débarrasser.
Cependant, là où Edvige va plus loin, c'est lorsqu'on veut y inclure des renseignements sur la santé et les préférences sexuelles des gens, ce qui est totalement illégal. Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, peut donc s'abriter derrière le passé, elle peut rappeler qu'Edvige est la fille d'un système adopté par Michel Rocard en 1991, elle peut expliquer que la réforme des renseignements généraux exige leur informatisation, elle ne peut pas dire que les dispositions totalement inattendues et inédites contenues dans Edvige pouvaient être adoptées par décret : un débat au Parlement et l'adoption d'une loi, pour un texte aussi important, sont indispensables. L'action du ministère a été si discrète que le temps de réaction des associations et de la presse a été de plus de deux mois (le décret est paru au « Journal officiel » le 1er juillet 2008). Il est vrai que les allégations sur les renseignements relatifs à la santé et à la vie sexuelle ont été vivement démenties par Mme Alliot-Marie, ce qui atténue la charge des associations qui, elles aussi, pratiquent parfois l'intoxication .
Quoi qu'il en soit, l'affaire est très vite devenue politique, en ce sens qu'elle a donné un nouvel os à ronger à une opposition en déconfiture et à une secrétaire d'État aux Droits de l'homme ou à un président du Nouveau Centre qui ont besoin d'exister. C'est alors que le président, à peine revenu de Moscou et de Tbilissi, est entré en scène. Et qu'a-t-il fait alors ? Constatant que l'opinion était scandalisée, il a exigé du gouvernement qu'il fasse machine arrière. Si beaucoup d'entre nous ont commis la faute inexpiable de n'avoir pas vu ce qui se tramait dès le 1er juillet, Nicolas Sarkozy ne pouvait ignorer depuis deux mois qu'Edvige existait. Et ce n'est pas le 2 juillet qu'il a appelé M. Fillon et Mme Alliot-Marie pour les tancer, mais huit semaines plus tard. Une fois de plus, il a pris le contre-pied de ses ministres, comme il le fait souvent, ce qui n'est pas extrêmement généreux, mais lui donne le beau rôle, dans une période où sa cote de popularité remonte. Après le RSA, approuvé presque à l'unanimité, M. Sarkozy n'en finit plus de dériver à gauche : le voilà soudain militant des droits de l'homme, lui qui insiste presque tous les jours sur les exigences de la sécurité.
Contorsions idéologiques.
M. Sarkozy est donc imprévisible : dès lors qu'il a forcément approuvé la mise en place d'Edvige, et qu'il désavoue ses ministres uniquement parce que le projet de fichier fait des vagues, il se livre une fois de plus à l'une de ces contorsions idéologiques dont il a le secret. On l'a vu mieux résister au qu'en-dira-t-on. Mais peut-être qu'à force d'y réfléchir, M. Sarkozy et son gouvernement se sont aperçus que quelques-unes des dispositions prévues par le décret sont excessives et incompatibles avec une société ouverte. La lumière émerge donc du débat national et, de ce point de vue, ceux qui ont révélé Edvige ont accompli un excellent travail.
Il demeure que l'exécutif pouvait faire l'économie de cette bourde ; manifestement, ni Mme Alliot- Marie ni M. Fillon n'ont la fibre libertés publiques ; pourtant, elle est tout aussi indispensable à un gouvernement, fût-il de droite, que le savoir-faire économique ou social.
Enfin, si on a pensé à ficher les plus de 13 ans, c'est parce que, effectivement, la délinquance des mineurs ne fait que croître. Il est clair, toutefois, que, pour la réduire, la réforme de l'éducation sera plus utile qu'une répression qui finirait par prendre les délinquants au berceau.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature