POUR LE COUP, c'est un « joyeux anniversaire », un très joyeux anniversaire. La manifestation qu'organisent samedi le Mfpf (Mouvement français pour le Planning familial), la Cadac (Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception) et l'Ancic (Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception) sera d'abord une fête. Celle des trente ans de la publication de la loi Veil qui, en voulant « rétablir l'ordre » après la publication du très subversif Manifeste des « 343 salopes » dans « le Nouvel Observateur », légalisait enfin une situation de fait, et permettait aux femmes d'avorter sans risquer d'en mourir. « Nous allons célébrer cette loi, qui est une très belle loi, même si elle n'est pas encore comme on la voudrait », nuance-t-on au planning.
Un droit sans cesse menacé.
« Finalement, cette loi a créé un droit qui n'est pas forcément vécu comme tel par les femmes d'aujourd'hui, estime Françoise Laurant, présidente du Mfpf. Il est donc important de commémorer les progrès établis grâce à la lutte des femmes, mais nous devons alerter la population sur les freins qui entravent l'application réelle de ce droit et qui font que les femmes ne sont bien souvent pas conscientes de ce droit. » La lutte de 1975 n'a pas été une fin en soi, souligne Fatima Lalem, membre du bureau du mouvement. « Nous devons faire obstacle aux remises en cause incessantes, affichées ou insidieuses. Si les femmes qui veulent avorter aujourd'hui ne sont plus mutilées, elles doivent encore payer. »
Payer de leur temps d'abord. Mal informées, elles doivent la plupart du temps faire face à un parcours du combattant, en prenant garde à ne pas dépasser le délai des douze semaines de grossesse. Dans certaines régions, elles doivent attendre trois à quatre semaines pour que leur demande soit acceptée.
Payer de leur argent aussi, en avançant le paiement, parfois avec dépassement, des bilans ou des échographies.
Payer de leur corps, bien sûr, et surtout du poids idéologique de la culpabilité en essuyant les commentaires des professionnels : « Vous avez un beau bébé, Madame », « Vous n'aviez qu'à prendre vos dispositions avant... »
D'ailleurs, le texte lui-même porte ses limites, renchérit le Dr Marie-Laure Brival, gynécologue à la clinique des Lilas, en banlieue parisienne, et vice-présidente de l'Ancic. « Il n'énonce pas un droit complet mais une autorisation. Les femmes n'ont pas la garantie de voir leur demande aboutir puisque persiste la possibilité pour les médecins d'opposer leur clause de conscience. » Rien n'oblige aujourd'hui en effet un médecin à pratiquer un avortement.
« Les jeunes générations doivent se rendre compte que des forces adverses sont là et peuvent faire reculer ce droit », prévient Maïté Albagly, secrétaire générale du planning. Christine Boutin poursuit son combat anti-IVG, notre ministre Douste-Blazy déclarait encore récemment que les jeunes femmes devraient avoir plus d'enfants... » Il a fallu trois ans pour que le décret d'application de la loi de juillet 2001 sur l'IVG médicamenteuse en ville soit enfin édicté. « En aucun cas, cela ne doit représenter un enjeu économique et être considéré comme un abandon des femmes », précise le Dr Brival.
Dans le parcours d'une femme.
Comment sensibiliser les médecins en devenir lorsque seulement deux heures sur les sept années d'études sont consacrées à l'avortement ? « Il y a urgence à former les médecins à cet acte médical qui, dit et répète le Dr Brival, présente un très faible risque lorsqu'il est fait correctement. » Et puis, ajoute-t-elle, ce problème est pris dans la tourmente de régression globale des services de santé. « Les services n'ont aucun intérêt à accomplir des IVG car elles ne sont pas rentables. De plus, pour parer à la pénurie générale du personnel médical, ce sont souvent les services d'orthogénie qui sont touchés les premiers. »
L'accès à l'avortement doit être pensé en termes de droit mais aussi de santé publique, résume-t-elle. « On sait les dégâts causés par les avortements clandestins. Rien que pour cette raison, nous devons nous réjouir de cet anniversaire. » La pratique des IVG doit rester une mission des établissements de santé, qui doivent d'ailleurs offrir aux femmes le choix entre une méthode médicamenteuse ou instrumentale.
« J'en ai assez de cette opposition entre les bonnes contraceptées et les mauvaises avortées car ce sont les mêmes ! », s'exclame le Dr Annie Bureau, trésorière de l'Ancic. Préserver sa fécondité pour le jour où l'on voudra des enfants constitue un droit fondamental pour les femmes. « Et entendre dire que "200 000 avortements par an, en France, c'est trop" est insupportable ! Il n'y a pas trop d'avortements en France, il y en a, c'est tout. »
Le combat des manifestants de samedi sera aussi et peut-être même avant tout celui-là : démontrer que l'avortement fait partie du parcours de vie d'une femme, dans la réalité complexe de sa sexualité. « Il ne faut pas opposer avortement et contraception, insiste le Dr Bureau. Toutes les femmes sont confrontées un jour ou l'autre à une grossesse non désirée, la moitié se tournera vers l'avortement. »
Au niveau européen, rien n'est acquis.
Des militantes d'autres pays européens se joindront à la manifestation. La situation des femmes est très différente d'un pays à l'autre de l'Europe, sans parler des autres continents. « Nous donnons l'impression en France que les femmes ont arraché cette loi, et c'est vrai. Maintenant, ce serait bien de la diffuser davantage. La Pologne et Malte, par exemple, les deux petits nouveaux de l'Union européenne, auraient souhaité que leur intégration signifie amélioration de leurs conditions d'avortement. Il y a certainement une pression à maintenir vis-à-vis de la Turquie. Nous devons rester très vigilants, car les opposants à l'IVG commencent à s'organiser aussi au niveau européen », insiste Françoise Laurant.
Le cortège se rassemblera à 14 heures samedi, place de la République, à Paris, et se dirigera vers l'Opéra, en passant par les grands boulevards. Une petite marche pour marquer un grand pas dans l'histoire des femmes en France.
Informations pratiques sur le parcours de la manifestation sur le site www.avortementancc.org. Mouvement français pour le planning familial, 4, square Saint-Irénée, 75011 Paris, tél. 01.48.07.29.10, www.planning-familial.org.
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