Pour le Pr Pierre Roubertoux, premier signataire de l'étude, le travail réalisé par l'équipe marseillaise a deux implications. La première est de mettre en évidence un rôle insoupçonné jusque-là de l'ADN mitochondrial (ADNm). La seconde est d'induire une réflexion concernant le clonage : « Lorsqu'on réalise un clonage, on transfère un noyau d'une cellule qui contient son propre ADNm. Le dialogue entre ADN nucléaire et mitochondrial (ou l'épistasie, selon un terme usité en génétique) est modifié de ce fait. Ce qui est à risque de provoquer l'apparition de phénotypes inattendus, voire indésirables. »
Pendant très longtemps, on a cru que l'ADN mitochondrial, qui contient 37 gènes, dont 13 codent des protéines, n'avait comme effet que de contribuer à la chaîne respiratoire, explique le Pr Pierre Roubertoux. Cela fait une dizaine d'années que cette notion se modifie. On a révélé des mutations d'ADNm associées à des pathologies tels des myopathies oculaires et des dysfonctionnements pancréatiques.
La modulation du système nerveux
Les membres de l'équipe du laboratoire des neurosciences de Marseille ont eu l'idée de tester le rôle des variants non pathologiques de cet ADNm sur la modulation du système nerveux. Pour cela, ils ont utilisé deux lignées de souris ayant un ADNm d'origine différente : des souris de laboratoires classiques à ADNm de type européen et des souris d'origine asiatique. Par croisement ont été créées des souris ayant un ADN nucléaire européen avec un ADNm asiatique (dans un phénotype européen) et vice versa, ce qui a pris plus de six ans. Des comparaisons ont ensuite été réalisées entre les différents types de souris. C'est ainsi que l'équipe a montré que l'ADNm a un effet significatif sur les capacités cognitives et sur la morphologie du système nerveux central ainsi que sur les modifications fonctionnelles qui surviennent en relation avec l'âge.
Au point de vue neuroanatomique, l'effet s'observe sur les grosses structures (cervelet, corps calleux, hippocampe), traduit par des différences portant sur la taille ou l'épaisseur du cortex.
Un apprentissage plus lent
La vitesse de développement des souris est modifiée, pour ce qui concerne l'âge d'apparition des compétences sensorielles et motrices (capacité de voir, de réagir à des stimulations labyrinthiques). « Pour l'apprentissage, on observe aussi un effet massif de l'ADNm, qui s'affirme dans trois types de test de laboratoire », indique le Pr Roubertoux. Il est plus lent chez les animaux ayant l'ADNm d'origine asiatique, que cet ADN soit chez une souris au phénotype et à l'ADN nucléaire d'origine européenne ou asiatique.
« Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que les différences vont s'accentuer avec l'âge. Les souris européennes à ADNm d'origine asiatique apprennent moins bien que les souris européennes à 3 mois. L'écart est plus important à 6 mois et davantage encore à 12 mois. »
En outre, on constate que cet effet de l'ADN étranger est plus fort lorsqu'on transfère l'ADN asiatique sur les souris européennes que l'inverse. « Ce qui révèle l'existence d'un dialogue, d'une "épistasie", qui s'établit entre le génome nucléaire et le génome mitochondrial », explique P. Roubertroux. Un génome peut être sensiblement moins réactif (comme on l'a constaté dans le cas des souris asiatiques) et notamment s'il est inséré dans une cellule d'une autre origine.
Il faudra savoir quels sont les gènes nucléaires modifiés par l'ADNm. Ce qui est en cours d'étude au laboratoire marseillais à l'aide de la technique des puces à ADN. Les chercheurs tentent de savoir si ce sont les gènes mitochondriaux qui agissent directement sur le système nerveux central ou si c'est par l'intermédiaire d'une action éventuelle sur des gènes nucléaires. Ils ont constaté que la permutation de l'ADNm change l'expression de gènes nucléaires et en particulier celle d'un certain nombre d'entre eux que l'on sait impliqués dans le vieillissement et la maladie d'Alzheimer.
Enfin, à propos de la maladie de Parkinson, des hypothèses concernant des gènes de l'ADNm, directement impliqués ou agissant sur des gènes connus du noyau, sont en cours d'étude.
« Nature Genetics », publication avancée en ligne le 17 août.
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