SOURCE D'UN MALAISE national, la question de l'accès à la santé aux Etats-Unis a conduit les deux candidats à la Maison-Blanche à détailler leur programme non sans attaquer l'adversaire, parfois de façon très agressive.
Présidente du parti démocrate en France, Constance Borde n'a pas de mots assez durs pour dénoncer le « désastre » de quatre années de présidence Bush. « La situation du système de santé était difficile ; elle est devenue catastrophique », déclare-t-elle au « Quotidien ». Il est vrai que l'explosion du prix des médicaments et le dérapage du coût moyen d'une assurance ont donné du grain à moudre au camp démocrate. « Il devient impossible pour une famille américaine de la classe moyenne de s'assurer », explique Constance Borde. John Kerry, qui a tenu un discours offensif sur ce thème porteur, propose quelques mesures de rupture . Le budget fédéral subventionnerait via un nouveau fonds une partie du coût des assurances médicales offertes par les entreprises (en assumant les frais induits par les pathologies les plus coûteuses) et financerait la couverture intégrale d'une grande partie des Américains qui en sont privés (enfants des familles pauvres et non couverts par Medicaid, adultes défavorisés sans enfants...). Jusqu'à 27 millions de personnes seraient concernées par ces mesures, pour un investissement compris entre 650 et 900 milliards de dollars sur dix ans (de 507 à 702 milliards d'euros). « Kerry veut que le maximum d'Américains - au moins 95 % - soient couverts pour leur santé, dont chaque enfant, ce n'est pas la priorité de Bush », résume Constance Borde. John Kerry a même utilisé comme slogan de campagne le « droit » de chaque Américain à une assurance « accessible et abordable ».
Autre plaidoyer démocrate : la légalisation de la réimportation de médicaments en provenance du Canada où ils sont nettement moins chers. Selon John Kerry, qui accuse l'administration Bush de céder au lobby pharmaceutique, cette décision apporterait en particulier un « vrai soulagement » aux seniors. Mais c'est finalement un autre choix de société, incluant un « haut niveau de santé pour tous », que prônent les démocrates. « Bush a baissé les impôts des plus riches, il a donné la priorité à la guerre qui demande des sacrifices et, dans le même temps, on a une pénurie de vaccins contre la grippe, analyse Constance Borde. Il est possible de remplacer des baisses d'impôt par une politique de santé au bénéfice du plus grand nombre. »
Les comptes d'épargne de Bush.
La stratégie de George W. Bush a d'abord consisté à attaquer le programme « santé » de son rival. Il a dénoncé un plan « incroyablement coûteux et inefficace » qui, selon lui, laisserait l'assurance-maladie dans les mains de l'Etat fédéral et priverait les Américains de toute liberté de choix. « Bush terrorise le pays, il est dans la caricature », se défend Constance Borde. Mais l'actuel président s'est également efforcé de défendre sa réforme de Medicare, l'assurance-maladie pour les plus de 65 ans, qui doit offrir pour la première fois un remboursement partiel des médicaments sur ordonnance à partir de 2006. En attendant, les seniors américains peuvent demander une carte accordant de très faibles remises pour l'achat de certains médicaments. Pour le reste, le programme républicain renforce la loi du marché. Il propose de multiplier les avantages fiscaux incitant les Américains à se doter de comptes personnels d'épargne « santé » exonérés d'impôt, chaque citoyen restant libre de financer un plan d'assurance de son choix. Le pari affiché est que la concurrence généralisée abaisserait le coût des primes et des médicaments.
Couvertures publiques et assurances privées
Aux Etats-Unis, le système d'assurance-maladie est jeune - John Kennedy l'a, en partie, « inventé » au début des années 1960. Il est dual, se divisant entre fonds publics et compagnies d'assurance privées.
Les programmes de financement publics ne correspondent pas, comme en France, à une assurance-maladie collective ; ils sont à destination spécifique des personnes âgées (c'est « Medicare »), des défavorisés (« Medicaid »), des anciens combattants, des Indiens et des fonctionnaires. Ces programmes publics pèsent lourd dans le PIB des Etats-Unis (7 %) - l'ensemble des dépenses de santé représentant près de 15 % de ce même PIB, soit ... 1 600 milliards de dollars (1 248 milliards d'euros).
Du côté des assureurs privés, pas de mutuelles comme en France : le marché est uniquement concurrentiel. Afin d'endiguer la hausse des dépenses, les MCO (managed care organizations) se sont considérablement développées ces dernières années, devenant « le » mode d'organisation de l'assurance santé aux Etats-Unis. Les MCO lient un réseau de prestataires de soins à un assureur, l'idée étant, face à la hausse galopante des dépenses de santé aux Etats-Unis, de rationaliser la gestion de la chaîne des soins ; elles regroupent les HMO (health management organizations, peu coûteuses mais contraignantes, avec un généraliste référent, des spécialistes agréés, des attentes avant consultation souvent longues...), les PPO (preferred provider organizations, dont les primes sont plus élevées mais où le choix des médecins est libre au sein - ou en dehors, c'est alors plus cher - d'un réseau agréé, et où le ticket modérateur est aussi plus élevé qu'en HMO), les POS (points of service, à mi-chemin entre HMO et PPO). Dans le cadre des MCO, les Américains souscrivent à des plans à titre individuel ou, le plus souvent, par le biais de leur société (ou de leur université...). Hors MCO existent toujours des couvertures de santé privées « classiques », ressemblant à ce qui existe en France mais sans contrôle de l'Etat : n'y adhèrent plus que 10 % des assurés alors que 90 % sont dans des MCO.
Au total, aujourd'hui, un peu plus de 85 % de la population des Etats-Unis est assurée : 83 % par le biais des assurances privées (73 % via l'emploi) ; près de 30 % via les assurances gouvernementales - plus de 15 % par Medicare, 13 % par Medicaid et près de 4 % chez les militaires (1). Quaante-cinq millions de personnes - dont 8 millions d'enfants - n'ont pas d'assurance-maladie ; pour la majeure partie d'entre elles, elles ne sont ni pauvres ni au chômage mais employés des petites entreprises, agents contractuels des services publics ou travailleurs à temps partiel.
>>>>>> K. P.
(1) Si les comptes ne sont pas ronds, c'est que les assurances ne sont pas exclusives et qu'il n'est pas rare, par exemple, qu'un bénéficiaire de Médicare ait une assurance complémentaire pour les biens médicaux ou pharmaceutiques.
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