AVEC UN TAUX D'INCIDENCE de 4,8 pour 100 000 habitants contre 0,4/100 000 pour l'ensemble du territoire, le département des Ardennes se situe au premier rang national. Telle était l'une des conclusions du rapport du Centre national de référence des leptopsiroses en 2005. Ce constat a conduit la Direction des affaires sanitaires et sociales (DDASS) des Ardennes à s'interroger sur cette particularité régionale et à s'inquiéter quant à l'existence de facteurs de risque spécifiques qui justifierait d'adapter les messages d'information.
L'étude conduite par la CIRE-EST (cellule interrégionale d'épidémiologie Est) avait pour but d'évaluer les facteurs susceptibles d'expliquer la surincidence.
Les résultats ont confirmé que, en dépit d'un faible nombre de cas annuels (5 à 23) et quoique présentant de fortes variations d'une année à l'autre (1,7 à 7,9/100 000), les taux d'incidence sont «notablement et systématiquement supérieurs aux taux d'incidence moyens nationaux».
Toutefois, aucun élément ne laisse supposer une recrudescence récente et «rien ne conduit à envisager l'existence de facteurs de risque locaux différents du reste du territoire», soulignent Claire Janin et Sophie Alsibaï, les auteures de l'étude. La forte incidence observée s'explique par la présence des facteurs de risque habituels de la maladie associée à une recherche plus active des cas dans le département. Tous les prélèvements des cas ardennais aboutissent au CNR soit pour confirmation, soit pour analyse, soit pour y réaliser une compilation des données en fin d'année (exhaustivité de 100 %).
Recherche active des cas.
La leptopsirose est plus souvent recherchée dans ce département qu'ailleurs du fait de l'existence d'infection à Hantavirus aux symptômes très proches, de l'intérêt du chef de service des maladies infectieuses du CHU de Charleville-Mézières, le Dr Christian Penalba, pour ces deux zoonoses. D'où une recherche active des cas avec reconvocation des patients pour une nouvelle sérologie en cas de suspicion. Les médecins et biologistes sont aussi très sensibilisés à la maladie en raison des nombreuses études et publications réalisées dans le département.
Parmi les facteurs de risque habituels de la leptospirose, on retrouve une forte ruralité avec 1,7 % d'agriculteurs (contre 1,3 % en moyenne nationale) – l'agriculture figure parmi les activités classées à haut risque. Les loisirs en eau douce également (canoë-kayak, pêche). Elles sont fréquentes dans les Ardennes, qui possèdent un réseau hydrographique particulièrement dense (deux rivières et de nombreux lacs) et qui bénéficient d'un climat doux et humide durant la période estivo-automnale, des conditions qui favorisent la survie des leptospires. Enfin, les ragondins, apparus en 1990, tendent à coloniser l'ensemble du département. Leur population, comme celle des rats musqués, autre vecteur connu (pas de transmission interhumaine), semble être en augmentation. Toutefois, aucune donnée n'est pour l'instant disponible sur la prévalence de la leptospirose chez ces rongeurs. «Les recommandations nationales restent donc adaptées à la situation des Ardennes et les messages de prévention ne nécessitent pas d'être modifiés», concluent les auteures.
Un biofilm pour résister
L'agent de la leptospirose est une bactérie de l'ordre des Spirochètes, de la famille des Leptospiraceæ, du genre Leptospira et de l'espèce interrogans. Il existe plus de 20 sérogroupes. Leur particularité : résister plusieurs mois dans le milieu extérieur humide. Une étude publiée dans « The Journal Microbiology » vient pour la première fois de révéler le secret de cette survie prolongé. L.interrogans a la capacité de produire un biofilm qui l'aiderait à résister aux conditions difficiles et expliquerait qu'elle puisse survivre au niveau des cavités rénales des rongeurs qui transmettent la maladie à l'homme.
Les moyens de prévention
La leptospirose est à la fois une zoonose de loisir contractée lors d'activités de baignade ou de pêche en eau douce, et une maladie professionnelle touchant les vétérinaires, les éleveurs, le personnel des abattoirs et les égoutiers. Peu fréquente (200 à 300 cas par an en France métropolitaine), elle reste une maladie grave, parfois mortelle. Les signes apparaissent 1 à 2 semaines après la contamination avec un tableau clinique évoquant une septicémie (fièvre à plus de 39 °C, frissons, céphalées, tachycardie, splénomégalie, douleurs articulaires, douleurs abdominales. Après quelques jours, l'évolution peut être marquée par une atteinte hépatique avec ictère, une insuffisance rénale sévère, une atteinte neuroméningée, des manifestations hémorragiques, une atteinte pulmonaire ou cardiaque, et oculaire.
La prévention passe par l'information de la population : il convient d'éviter de se baigner en eau douce lorsqu'on est porteur de plaies. Outre les mesures collectives (dératisation, mesures de contrôle des pullulations de rongeurs), des mesures individuelles de protection doivent être mises en place dès lors qu'une activité professionnelle fait courir un risque de contact régulier avec les urines de rongeurs, ou un environnement infesté par les rongeurs (port de gants, de bottes, de cuissardes, de combinaisons ou de lunettes antiprojections).
La vaccination est essentiellement dirigée contre le sérogroupe Leptospira icterohaemorrhagiae. Elle n'est recommandée que dans certaines indications restreintes posées au cas par cas par le médecin du travail après une évaluation individuelle du risque. Elle peut être proposée aux sujets adultes pratiquant régulièrement des sports nautiques en eau douce (natation, canoë-kayak, triathlon).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature