LE SYSTÈME international de radioprotection repose toujours en particulier sur les résultats de l’étude épidémiologique des populations exposées à Hiroshima et Nagasaki, à savoir «une irradiation externe mixte neutrons/ gamma délivrée en un très court instant». Les chercheurs de l’Irsn ont cherché à savoir si un tel système était transposable à une radioprotection de masse liée à la vie de tous les jours. «On considère aujourd’hui que c’est le cas, mais rien n’a encore été formellement prouvé», dit Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection de l’homme à l’Irsn.
En effet, concernant la population normalement soumise à des expositions très faibles, essentiellement issues de rayonnements naturels, les normes de protection ne sont pas directement issues de données expérimentales portant sur ces niveaux faibles d’exposition. Elles reposent en fait sur une extrapolation des normes applicables aux travailleurs. Si elles apportent un niveau de protection très élevé par rapport au risque de cancer radio-induit, il existe cependant un déficit de connaissances sur les effets possibles de ces contaminations à faible niveau, autres que le cancer, tels que les problèmes de stérilité ou à caractère neurologique.
Une nouvelle approche globale de radioprotection.
Mis en place en 2002, le programme Envirhom, qui mobilise aujourd’hui une quarantaine de chercheurs de l’Irsn, s’intéresse donc au faible niveau de radionucléides que subit la population de manière «continue et chronique». L’exposition moyenne de la population française est aujourd’hui estimée à 3,3 msV/an, un faible niveau étant évalué entre 1 et 4 msV/an.
Par ailleurs, ce programme témoigne d’une évolution importante des mentalités en matière de radioprotection : «Le paradigme de la protection de l’environnement contre les rayonnements ionisants, aujourd’hui non inclus explicitement dans le système de radioprotection, sera donc de considérer l’environnement non pas en tant que voie de transfert entre la source d’exposition et l’homme mais en tant qu’ensemble d’écosystèmes où la biodiversité doit être protégée», souligne Jacqueline Garnier-Laplace, chef du laboratoire de radioécologie et d’écotoxicologie.
Cette approche globale, « homme/ environnement » se fonde sur un modèle biologique représentatif de la diversité de l’écosystème via un choix limité d’espèces, qui permet d’étudier la contamination chronique sous différentes sources (eau, sédiment, sol, nourriture) et dans un contexte de multipollution correspondant à la réalité de notre environnement quotidien. Ainsi le modèle végétal est étudié par le biais d’une microalgue, le modèle vertébré par un crustacé, le modèle vertébré inférieur par un poisson et enfin le modèle vertébré supérieur simulant l’espèce humaine par un rat. Le but de ces expériences est «d’identifier les effets biologiques et les dysfonctionnements éventuels induits par les radionucléides sur les grandes fonctions physiologiques comme les systèmes nerveux, immunitaire ou reproducteur». Au niveau des écosystèmes, le programme Envirhom a pour but de relier les perturbations observées chez les individus (comportement, croissance, reproduction) avec les effets à l’échelle des populations composant ces écosystèmes.
Des résultats qui ouvrent de nouvelles pistes.
La première étape du programme a porté sur un seul radionucléide, l’uranium. En ce qui concerne l’environnement, les principales conclusions montrent que «certaines grandes fonctions physiologiques des organismes vivants telles que la respiration, le comportement ou l’alimentation sont modifiées de manière précoce et à de faibles niveaux d’exposition». De plus, «des réponses plus tardives sont observées sur les grandes fonctions telles la reproduction lorsque les durées de l’exposition deviennent significatives par rapport à la durée de vie de l’organisme étudié». Pour ce qui est de la santé, les résultats obtenus chez le rat de laboratoire indiquent que «les effets des expositions chroniques ne peuvent pas être extrapolés à partir des connaissances des effets des expositions aiguës». Et les organes touchés après exposition chronique ne sont pas les mêmes que ceux atteints après exposition aiguë. Certains de ces organes présentant même des anomalies fonctionnelles «qui sont autant d’effets biologiques non liés à l’apparition de cancers, notamment des modifications des comportements et du sommeil et des effets sur le métabolisme des xénobiotiques (polluant, médicaments)». «Toutefois, il n’est pas démontré que ces effets biologiques ont des conséquences sanitaires et conduisent à des développements de pathologies, ajoute Patrick Gourmelon. De même, il reste à déterminer dans quelle mesure les résultats obtenus sur un modèle expérimental sont extrapolables à l’homme.»
La finalité avouée de ce projet n’est autre qu’élaborer à terme les bases mondiales de radioprotection de l’environnement et des écosystèmes. «Un projet qui vise à compléter et non renouveler le système global de radioprotection», selon Jacques Repussard, directeur général de L’Irsn. «Ce système conçu pour être un système enveloppe, couvrant un grand nombre de situations avec une marge de sécurité importante, ne semble pas devoir être remis en question et reste actuellement le meilleur outil disponible pour la gestion des risques.» Compte tenu de l’ampleur de la tâche et de la nécessité de forger des consensus internationaux pour conduire toute évolution future du système de radioprotection, l’Irsn développera des coopérations scientifiques sur ce thème avec d’autres équipes de recherche, notamment au niveau européen.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature