Chacune des questions que l'on se pose depuis dimanche soir est lourde de sens : comment l'électorat de gauche va-t-il voter au second tour de l'élection présidentielle ? Jean-Marie Le Pen a-t-il une chance de rallier une majorité sur son nom ? Les Français ne vont-ils pas être effrayés de ce qu'ils ont fait en provoquant un duel droite-extrême droite, d'où la gauche, pourtant très largement implantée, est absente ? Si M. Chirac est réélu, la gauche ne fera-t-elle pas tout ce qui est en son pouvoir pour reconquérir la majorité parlementaire ? Inversement, le Front national ne va-t-il pas envoyer de nombreux députés à l'Assemblée ?
Nous entrons donc dans une période de très fortes turbulences.
Comme nous l'écrivions dès hier, Jacques Chirac devrait, logiquement, battre Jean-Marie Le Pen sans difficultés et devrait déjà se réjouir pour son sort personnel immédiat. Il peut compter, vraisemblablement, sur les électeurs de François Bayrou, d'Alain Madelin, et peut-être sur une partie des suffrages qui sont allés à Jean-Pierre Chevènement.
Le duel du second tour
Mais cette fois, l'extrême droite, soit environ 20 % (si on ajoute aux voix de Le Pen, celles de Bruno Mégret) n'a aucune raison de voter Chirac. Bien au contraire, elle espérera transformer l'essai et, pour avoir la majorité absolue, le candidat président a besoin d'au moins une partie des voix de la gauche.
Il est impossible de dire aujourd'hui qu'il les obtiendra. Dès dimanche soir, tous les dirigeants de gauche affirmaient qu'il fallait, avant toute chose, faire barrage à Le Pen. L'expérience du premier tour montre qu'ils ne sont pas toujours écoutés par leurs électeurs. La déception est tellement grande, dans tous les mouvements de gauche, que le taux d'abstentions risque d'être très élevé dans cette partie de l'électorat.
Il y a un cas de figure qu'on ne peut pas écarter, mais qui serait plus que singulier : Le Pen président avec un Premier ministre de gauche.
Cette hypothèse est tellement hallucinante, elle produirait de tels dégâts au sein de l'exécutif, elle entraînerait une crise de régime si grave que les plus à gauche de la gauche devraient d'ores et déjà écarter cette perspective cauchemardesque.
L'électorat socialiste, vert et communiste devrait en fait adopter une stratégie « utile » : éliminer Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle, puis s'unir pour envoyer le plus grand nombre possible de députés de gauche à l'Assemblée. En d'autres termes, voter démocrate au second tour et voter idéologiquement aux législatives.
Car l'électorat de gauche ne peut pas prendre sa revanche à la présidentielle. M. Jospin est bel et bien éliminé et il a même annoncé qu'il se retirait de la vie politique. En revanche, il peut la prendre à la faveur de ce troisième tour que constitueront les législatives. Certes, il faudra de nouveau cohabiter pendant cinq ans avec M. Chirac, mais ce serait un moindre mal.
L'appel de Le Pen à Chirac
Est-ce pour autant, pour la France, la solution la plus satisfaisante ? Jacques Chirac n'a rien à espérer de Jean-Marie Le Pen. Les deux hommes, avant et pendant la campagne, n'ont cessé de dire qu'ils n'avaient rien en commun. Certes, ils peuvent encore se dédire. M. Le Pen l'a fait dès dimanche qui s'est déclaré à rencontrer M. Chirac. Mais ce serait tragique pour le président qui serait alors accusé de se livrer à des accommodements avec le diable, uniquement pour rester au pouvoir. L'hypothèse est donc peu probable. Mais alors, où le président réélu pourrait-il trouver une majorité parlementaire, s'il veut mettre un terme à la cohabitation ?
En 1997, la haine était si grande entre la droite classique et l'extrême droite que le Front national a préféré faire élire des candidats de gauche que ceux du RPR ou de l'UDF. S'il demeure possible que, pour écarter la menace d'extrême droite, les électeurs de gauche votent pour Chirac le 5 mai, ils ne lui feront plus de cadeau en juin. Le président ne pourra, dès lors, que compter que sur ses troupes traditionnelles, surtout s'il a refusé de composer avec M. Le Pen avant le deuxième tour de la présidentielle. On ne sait pas si, en un mois et demi, la droite parlementaire aura le temps de se recomposer, mais ce qui est sûr, c'est que les résultats du premier tour de la présidentielle ont déjà indiqué que les électeurs sont capables d'aller dans tous les sens.
Nouveau risque de cohabitation
Ils peuvent donc de réserver à M. Chirac une surprise de taille comparable à celle qu'ils ont faite à M. Jospin. Aussi bien le chef de l'Etat ne peut-il se réjouir vraiment de ce qui lui arrive ; il n'a d'abord obtenu que 20 % des voix ; il a un challenger qui le hait personnellement et qui le tient par la barbichette ; pour le battre, il doit compter au moins en partie sur un électorat qui lui est hostile ; une fois président, il risque, de nouveau, de cohabiter pendant cinq ans.
Inutile d'ajouter que si M. Chirac n'a pas de majorité parlementaire, un exécutif faible et divisé sera incapable de faire face non seulement aux revendications populaires, qui se sont déjà exprimées de façon extrêmement dure, mais aux réformes indispensables pour moderniser le pays. Les leaders médicaux que nous avons interrogés (page 3) ont presque tous souligné la similitude entre l'évolution de la France et celle de l'Italie ou de l'Autriche : une droite soutenue par l'extrême droite. Et en Italie comme en France, un peuple frustré, revendicatif et prêt à toutes les grèves. Personne ne doit oublier en effet que M. Jospin a perdu aussi parce que son électorat a été grignoté par l'extrême gauche. Tout à coup, la France semble avoir perdu sa majorité silencieuse ; tout à coup, le président ne sera élu que par défaut et se retrouve comme une sorte d'arbitre entre l'extrême gauche et l'extrême droite.
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