La Commission européenne a commandé un sondage Eurobaromètre intitulé « L'Irak et la paix dans le monde » dans lequel un esprit particulièrement futé a glissé une question à propos d'une liste de quinze pays présélectionnés. Aux 7 515 Européens interrogés, le sondage demandait quel pays situé sur la liste « représente une menace pour la paix dans le monde ». Avec 59 % des voix, Israël arrive en tête, devant la Corée du Nord, l'Iran et les Etats-Unis, ex æquo avec 53 %.
Théoriquement, ce sondage était censé porter sur l'Irak, sur sa gestion et sur son avenir. Le résultat est que la presse mondiale n'y a lu que la réponse relative aux pays dits dangereux et la place qu'occupe Israël sur la liste. Il s'en est suivi une polémique mondiale, d'abord parce qu'Israël a réagi très vivement au résultat du sondage et affirmé que la question était ambiguë ; ensuite, parce que l'embarras et les critiques adressées au sondage par la présidence italienne de l'Europe, par la Commission de Bruxelles et par son président, Romano Prodi, ont été abondantes et sévères.
Une économie à faire
Pour commencer, on est tenté de dire que la Commission de Bruxelles, si sourcilleuse pour les dépenses des pays de l'Union au point qu'elle ne cesse de harceler la France et l'Allemagne, devrait commencer par balayer devant sa porte et faire des économies en éliminant des enquêtes d'opinion qui n'apportent rien ou démontrent l'ignorance des peuples qu'elle représente.
Ensuite, on se demande comment des pays comme le Pakistan, pays non démocratique, peuplé d'un grand nombre d'intégristes et doté de la bombe atomique n'apparaît pas, aux yeux des Européens, comme un pays plus dangereux qu'Israël.
Enfin, dès lors qu'on prend au sérieux les sondages, par exemple quand ils indiquent la chute de popularité du chef de l'Etat ou du Premier ministre, on ne peut pas ignorer celui-ci et on essaie de comprendre sa signification.
Bien que, en tant que président de la Commission, Romano Prodi soit indirectement responsable d'Eurobaromètre, il nous fournit une analyse très intéressante. Il s'est déclaré « très préoccupé », et a dit d'emblée que le résultat du sondage ne reflétait « ni la pensée ni la politique de la Commission. (Les résultats) prouvent, a-t-il ajouté, l'existence d'un préjugé qui doit être condamné sans hésitation. Dans la mesure où cela peut être l'indice d'un préjugé plus profond et plus général à l'égard du monde juif, notre refus est encore plus radical. Dans une Europe née en réaction aux horreurs de la Shoah, il n'y a aucune place ni aucune tolérance pour l'antisémitisme ».
C'est à dessein que nous reproduisons ces propos : ils viennent de celui qui est, en tant que président de la Commission, responsable de ses activités. Ils condamnent les conséquences d'une initiative qui a été prise par la Commission elle-même ou tout au moins par ses fonctionnaires.
Mais M. Prodi ne se serait pas retrouvé dans cette contradiction si les Européens n'avaient contribué à faire d'Israël un Etat paria en analysant son conflit avec les Palestiniens comme un conflit colonial qui appelle des jugements manichéens : opprimés et oppresseurs, occupants et occupés, forts et faibles.
Le sondage montre qu'Israël n'est pas perçu par les Européens en tant que ce qu'il est, c'est-à-dire un pays occidental, né à la fois d'un combat de libération nationale et d'une persécution sans précédent conduite par les Européens eux-mêmes. La mémoire est courte ; mais celle des Européens est inexistante. Non seulement ils ont oublié ce qu'ils ont fait aux Juifs, en leur niant le droit de vivre en Europe et en les exterminant ; mais ils oublient ce qu'ils « doivent » aux Juifs, c'est-à-dire l'Etat où ils les ont contraints à retourner.
Tout cela n'enlève rien à la gravité du conflit israélo-palestinien ni aux fautes qui ont été commises par divers gouvernements israéliens, ni aux souffrances actuelles du peuple palestinien, qui ne voit pas le bout du tunnel. Mais y a-t-il un seul des Européens interrogés dans le cadre du sondage qui puisse dire de quelle manière la sécurité européenne est menacée par Israël ? Certes, ils craignent que le chaudron palestinien finisse par exploser. C'est d'ailleurs ce qui a conduit les gouvernements européens à adopter une politique d'apaisement à l'égard du monde arabe et, en conséquence, à critiquer la répression israélienne avec beaucoup plus de vigueur que les ignobles et dévastateurs attentats-suicides.
Nous ne sommes pas de ceux qui écartent le sondage d'un revers de la main. Au contraire, nous le prenons très au sérieux : il est la conséquence d'une double action contre Israël : la politique des Quinze, très éloignée de l'impartialité, et la pression des médias qui entretiennent l'idée qu'il n'y a pas vraiment de raison, historique, religieuse ou politique, pour la présence d'Israël au Proche-Orient et que, en définitive, le point de vue des Palestiniens, pour qui il ne devrait y avoir que la Palestine, ne serait pas excessif.
Un Prodi pathétique
Dans ces conditions, pourquoi les opinions européennes penseraient-elles autre chose que ce qu'elles lisent dans les journaux sous des signatures parfois prestigieuses et ce que disent leurs gouvernements propalestiniens ?
La consternation de M. Prodi est pathétique : il a soudainement réalisé que les gouvernements et les médias européens envoyaient aux opinions des Quinze un message biaisé, fait d'un tas d'ingrédients parmi lesquels des diplomaties historiquement proarabes, des gauches qui n'ont toujours pas digéré la culpabilité de l'Europe et tentent de s'en guérir par un tour de prestidigitation (on accuse les victimes du génocide de le commettre à leur tour), un antiaméricanisme endémique qui fait d'Israël un monstre parce que le seul pays qui le soutienne, c'est les Etats-Unis, et de tant d'autres contrariétés, complexes et inhibitions qui mériteraient une psychothérapie de masse.
Le pays le plus dangereux du monde a été créé en 1948 par les Nations unies. Il n'avait pas été plutôt créé que cinq armées arabes l'envahissaient. Elles ont perdu cette guerre, comme celles qui ont suivi. Voilà pourquoi Israël est tellement dangereux : parce qu'il existe. Et tout irait tellement mieux s'il n'existait plus !
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