La santé en librairie
Même si des changements sont perceptibles depuis quelques années dans les relations médecin-patient - changements visibles à travers la place croissante faite aux associations de malades, celle laissée aux observateurs extérieurs (ethnologues, par exemple), à des médiateurs comme les psychologues ou les psychiatres, mais aussi à travers la création des chartes du patient hospitalisé qui fait du patient un usager de soins et non plus seulement un receveur passif de soins ou comme en témoigne encore la promotion de la lutte contre la douleur -, l'hôpital reste un lieu de grande violence psychique pour les soignants comme pour les soignés. Il y a urgence à le comprendre, nous dit M.-C. Pouchelle, anthropologue, directeur de recherche au CNRS.
De plusieurs années passées à observer le fonctionnement des uns et des autres, dans des services de réanimation ou de chirurgie lourde (transplantations d'organes, chirurgie vasculaire), elle tire une analyse où chacun pourra se reconnaître, tantôt dans le rôle du patient, tantôt dans celui du médecin. Cette ethnologue, qui affirme n'être ni juge ni procureur, a su se faire simplement petite souris attentive et discrète. Elle montre, exemples à l'appui, comment une culture hospitalière de fond sous-tend les cultures de service et façonne les comportements individuels des praticiens. On ne peut faire totalement abstraction de nos peurs individuelles et collectives, nous explique-t-elle. Parce que leur formation les conduit à masquer leurs affects, à taire leurs craintes et à laisser leur imaginaire au vestiaire pour se comporter en professionnel, les médecins souffrent et adoptent parfois des comportements qui manquent cruellement d'empathie et d'ouverture d'esprit. Les disciplines où l'on meurt le plus (réanimation, chirurgie vasculaire...), celles où la maladie côtoie fréquemment la mort et où les traitements sont parfois effrayants (la cancérologie, par exemple) sont aussi celles dans lesquelles les comportements sont les plus caricaturaux. Tantôt thaumaturges des temps modernes, tantôt témoins apparemment indifférents ou encore semblant ignorer les règles de la sociabilité ordinaire, les médecins font comme ils peuvent pour se protéger de la violence de la maladie et de la mort. Mais cette protection est loin d'être toujours efficace et elle n'est pas neutre pour les patients, constate M.-C. Pouchelle.
Plaisanteries et bravades
Elle propose de retrouver les rites initiatiques des sociétés traditionnelles et les pratiques chamaniques qui se cachent sous les rituels collectifs de salle de garde destinés à conjurer l'effroi et les plaisanteries ou bravades verbales des chirurgiens faites pour exorciser les implications symboliques de certains gestes (lors des greffes, notamment), la culture du secret largement répandue à l'hôpital, mais aussi sous les pratiques et les interdictions justifiées, à raison, mais souvent à tort, par les nécessités de l'asepsie et mille autres détails de la vie hospitalière. La mystification des pratiques médicales a la vie dure, nous explique-t-elle, sinon, comment comprendre le ressort comique de cette devinette bien connue au bloc opératoire : quelle est la différence entre Dieu et un chirurgien ? C'est que Dieu ne s'est jamais pris pour un chirurgien, bien sûr !
« L'Hôpital corps et âme », de Marie-Christine Pouchelle, Editions Seli Arslan, 262 pages, 21 euros.
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