QU’ILS SOIENT psychiatres, psychanalystes ou les deux à la fois, tous voient dans la salle d’attente un lieu de transition entre «la vie courante et la vie interne, la vie psychique», comme l’évoque le Dr Serge Disegni (Saint-Denis). Un sas. Pour le reste, les règles sont presque aussi divergentes qu’il y a de praticiens. «Pour moi, la salle d’attente est un lieu... où l’on attend. Ici, c’est une vraie usine à gaz. Je suis débordé», avoue le Dr Pierre Planat (Paris). Une, deux, plusieurs personnes attendent l’heure du rendez-vous. Un cas de figure que jamais les patients du Dr Paul Anguera (Issy-les-Moulineaux) ne rencontreront : «Je ne reçois jamais deux personnes en même temps, confirme-t-il. Les rendez-vous sont pris à heure fixe. C’est une vieille tradition qui fait que l’on préserve l’intimité des personnes... Toutefois, Lacan avait la réputation d’avoir une salle d’attente toujours pleine à craquer.»
Certains décoreront leur salle d’attente chaleureusement, d’autres respecteront une neutralité jusqu’à ne laisser traîner aucune revue. Le Dr Serge Disegni est très attaché à cette notion «d’anonymat», de «neutralité». Paul Roazen, historien du freudisme, raconte que Freud tenait beaucoup à ce qu’il appelait une «psychanalyse strictement régulière et pure», sans interférence.
Mais si Freud recommandait à l’analyste de demeurer détaché et neutre, «il n’avait pas peur d’être lui-même, précise Paul Roazen. Il écrivit un jour que “les analystes sont des gens qui ont appris à pratiquer un art particulier ; mais d’un autre côté, il leur est permis d’être des hommes comme les autres”. Le choix des livres de sa salle d’attente, par exemple, révélait quelque chose de ses propres goûts: avant la Première Guerre mondiale, on y trouvait des livres de l’humoriste Wilhem Busch. Mais, en 1928, sa clientèle se composant de plus en plus d’Américains, ses choix se mirent à refléter les préférences de ses analysants, et il agrémenta sa salle d’attente d’exemplaires de “The Nation” et de “The New Republic”».
Un espace de liberté.
Pour Serge Hajlblum, psychanalyste et docteur en philosophie (Paris), la neutralité dans une salle d’attente n’existe pas, tout comme «la psychanalyse n’obéit jamais aux normes». «D’ailleurs, ma salle d’attente n’en est pas une, poursuit-il.
C’est mon lieu de vie: il peut y avoir des livres, des coupes de fruits, des objets personnels comme des cartes postales. Il ne s’agit pas d’une salle d’attente médicale. C’est un lieu où l’on est, mais pas tout à fait: quand on attend, il y a un espace de liberté», estime-t-il. Un jour qu’il faisait salle commune avec un autre thérapeute, Serge Hajlblum raconte être venu chercher son patient trois fois de suite sans jamais le reconnaître.
«Il n’y a pas de règles: toutes sortes de choses sont possibles. Il m’est déjà arrivé d’oublier de fermer la porte de mon bureau ou de faire la séance dans ce que l’on appelle la salle d’attente. Dès que l’on arrive, on est dans le champ de l’analyse. Et le cadre de l’analyse, c’est la parole, pas du mobilier ni du tissu», souligne-t-il.
Au patient de trouver le bon sas, à l’image du thérapeute, dans lequel il pourra commencer, sans trop de heurts, son voyage interne.
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