À l’AP-HP, l’hiver, cette année, a des allures de printemps. Non que le réchauffement climatique ait soudainement anéanti les différences saisonnières, mais plutôt que la grogne des hospitaliers franciliens a atteint, cet hiver, tout comme au printemps dernier, un niveau rarement égalé. Le 15 décembre, à l’appel du mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP), suivi par les membres de la CME de l’AP-HP, des présidents de CCM, des syndicats de médecins, chirurgiens, biologistes…, une assemblée générale s’est tenue à la Pitié-Salpêtrière, dans l’amphi F, devenu depuis le mois d’avril dernier un haut lieu de revendication des médecins hospitaliers. Contre le plan de suppression d’emplois médicaux et non médicaux qu’implique le cadrage budgétaire 2010-2014, quelque 800 praticiens, dont les deux tiers des chefs de pôle et présidents de CCM, ont menacé de démissionner de leurs fonctions électives. Le 18 décembre dernier, à l’occasion du dernier conseil d’administration de l’année de l’AP-HP, les syndicats de personnels ont appelé à un rassemblement unitaire devant le siège, pour dénoncer, une fois de plus, les suppressions d’emplois qu’engendre le plan stratégique 2010-2014 de l’AP-HP, qui prévoit, entre autre chose, un retour à l’équilibre en 2012. Dans les centres hospitaliers, les grèves et mobilisations se multiplient. « Contre le manque de personnel, les hôpitaux d’Ambroise Paré et de Tenon se sont mis en grève. À Bicêtre et à Saint-Louis, la situation est très tendue », informe Marie-Christine Fararik, secrétaire générale du syndicat Sud-Santé. Et la liste n’est pas exhaustive : un mouvement social se prépare à l’hôpital Saint-Antoine, où la maternité est menacée de fermeture, tout comme à l’hôpital Beaujon, où les urgences nocturnes pourraient être transférées à l’hôpital Bichat. Au-delà des personnels soignants, ce sont les associations d’usagers qui battent le pavé contre la restructuration de l’AP-HP. Ainsi, un collectif d’association du 20e arrondissement parisien, emmené par des associations et des partis politiques, est vent debout contre la fermeture de centres d’IVG à Tenon, Broussais et Rostand. Le professeur Laurent Brochard, président du comité consultatif médical (CCM) d’Henri Mondor, dénonce par ailleurs « l’hypocrisie de la tutelle, qui ferme des centaines de postes sur le terrain ». Et pointe du doigt les fermetures annoncées d’hôpitaux gériatriques, de moyens ou de long séjour. Marie-Christine Fararik abonde dans ce sens, en déplorant, cette année, la conversion de 400 lits USLD en Ehpad. Une conversion qui devrait s’accélérer en 2010, avec l’avènement des agences régionales de santé.
Climat social délétère
Outre les fermetures et restructurations, l’AP-HP a été au centre d’une polémique sur une potentielle recrudescence des suicides en son sein. Le syndicat Sud-Santé a dénoncé en octobre dernier une vague de suicides à l’AP-HP, que la direction a démenti. Toujours est-il que le CHSCT du 9 octobre dernier fut consacré à cette épineuse question… Bref, l’assistance publique de Paris se portait mal, jusqu’à ce qu’on lui inflige ce que d’aucuns considèrent comme le coup de grâce : le cadrage budgétaire 2010-2014, dévoilé le 20 novembre dernier. avant cela, le professeur Coriat avait fait des déclarations fracassantes dans la presse, menaçant de démissionner de sa fonction de président de CME, si la direction de l’AP-HP mettait à exécution son plan de restructuration pour 2010, qui prévoit 1 000 suppressions d’emplois non médicaux et 150 emplois médicaux. Joint par Décision Santé, le professeur Coriat s’est expliqué sur son geste. « La CME, qui a approuvé ma décision, ne s’oppose pas au regroupement des hôpitaux de l’AP-HP initiée par notre directeur général. Seulement, les suppressions d’emplois sont faites de manière arbitraire, à la hache, sans prise en compte des restructurations. Nous voulons optimiser nos ressources médicales, mais pas à l’aveuglette », explique-t-il. Mais ce n’est pas tout. « Nous nous opposons également à la suppression des emplois non-médicaux, en particulier les CDD et l’intérim des soignants, sans lesquels nous ne pouvons pas soigner », ajoute-t-il. Sans cela, Et Pierre Coriat, président de la CME, et Yves Aigrin, vice-président, démissionnerons de leur poste. « Nous attendons d’analyser la révision des effectifs de praticien hospitalier pour l’année 2010, pour savoir ce que nous ferons. Si la tutelle maintient son projet de supprimer une centaine de postes médicaux ainsi que des postes soignants, nous démissionnerons », avertit-il. Francine Bavay, vice-présidente du conseil régional chargé de la santé, soutient, parmi d’autres, l’initiative de Pierre Coriat. « Contrairement aux déclarations de la direction, on ne peut pas "faire mieux avec moins". Et une réorganisation ne doit pas signifier une suppression de postes, mais bien plutôt une amélioration de l’offre de soins sur le territoire ».
Démission de professeurs
Sans attendre le verdict de la révision des effectifs 2010, deux éminents professeurs de l’AP-HP ont d’ores et déjà rendu leur mandat électif. Dans une lettre rendue publique, le professeur Alain Bensman (hôpital Trousseau) annonce démissionner de ses fonctions administratives de membres du CCM, vice-président du CCM, membre du conseil exécutif, et président de la commission des effectifs. Pourquoi ? « Depuis quelques mois, écrit-il, un processus de destruction massive et brutale est en route ». Et de dénoncer « les traitements et la sécurité des enfants -– dont beaucoup ont une maladie mortelle – […] qui ne sont plus assurés dans de bonnes conditions ». Dans la foulée, le professeur Jean-Louis Lejonc (Hôpital Henri-Mondor) présente lui aussi sa démission de chef de pôle et de membre du CCM, pour des motifs similaires, en octobre dernier. « Je suis dans l’incapacité à organiser des redéploiements internes de PNM dans le pôle pour maintenir ouverts tous les lits ». Il est fort à parier que ces démissions se multiplient, si le plan stratégique 2010-2014, tel qu’il a été présenté, est adopté.
3 400 emplois supprimés
Le 20 novembre dernier donc, « alors que le directeur général devait présenter au comité technique d’établissement le projet médical 2010-2014 qui fixe les orientations et priorités en termes de santé publique […] celui-ci nous a présenté le cadrage budgétaire ». Lequel s’annonce plutôt rude : « Il s’agit de supprimer plus de 4 000 emplois entre 2010 et 2014 qui s’ajoutent aux 3 400 emplois déjà supprimés (2 400 en 2008 et 1000 en 2009). » Durant le CTE, l’atmosphère est glaciale : « Benoît Leclercq ne nous a donné aucune réponse, et a quitté précipitamment la salle de réunion », regrette Marie-Christine Fararik. Il n’empêche : ce CTE a réveillé les réflexes syndicaux du printemps dernier : les syndicats de personnels sont partis à la rencontre des médecins de l’AP-HP. « Après ce CTE, nous avons organisé une rencontre avec le MDHP et des membres de la CME », explique la secrétaire générale de Sud. Mais les avis divergent, entre les médecins, partisans d’une restructuration médicalement justifiée et les syndicats de personnels. « Nous sommes résolument contre le rationnement des soins. Nous ne voulons pas d’un projet médical qui se conçoive en fonction des moyens que l’on nous accorde », ajoute-t-elle.
Grève ?
Résultat : même si quelques centaines de médecins menacent de démissionner de leurs fonctions administratives, peu d’entre eux, selon Marie-Christine Fararik, envisagent, pour le moment, participer à un mouvement de grève. « Les médecins n’en sont pas là, contrairement au personnel. Et, puis, ce n’est pas dans leur culture », estime Marie-Christine Fararik. Même son de cloche du côté du professeur Pierre Coriat, qui jauge que l’exaspération des médecins, même si elle ne doit pas être négligée, est loin d’atteindre les sommets observés en avril dernier, où plusieurs milliers de médecins avaient défilé à Paris et en province. Côté AP-HP, sans nier l’ampleur du plan social, on justifie les efforts requis par l’ensemble des personnels de l’AP-HP : « Cet effort collectif représente de 90 à 100 millions d’euros jusqu’en 2012, soit globalement l’équivalent de 1 000 emplois non renouvelés sur plus de 20 000 départs naturels au cours de la même période […] La mobilisation qu’appelle cet effort est aussi le levier d’un programme d’investissement nécessaire à une modernisation adaptée, en immobilier, en équipements médicaux, en logistique et en système d’information. » Dans tous les cas de figure, l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, qui héritera du dossier, devra trouver des solutions de compromis. Pour Claude Évin, interrogé par Décision Santé, un meilleur dialogue entre la tutelle et l’AP-HP serait à même d’éviter bien des crispations : « Je comprends qu’il puisse y avoir des inquiétudes. Mais il faut du dialogue. On affiche des suppressions de poste parce qu’il y a des déficits importants, sans y apporter de sens, à savoir : comment garantir une offre de soins en Île-de-France. Il faut aussi se poser la question de l’optimisation des moyens. Mais pour avoir ce dialogue avec l’assistance publique, il faut qu’il y ait une tutelle qui ait vraiment des outils de dialogue. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Comme nous n’avons pas les moyens de dialoguer, nous prenons des décisions à la hache en annonçant tant de suppressions d’emplois, etc. Je souhaite à l’avenir entamer ce dialogue avec l’assistance publique. »
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