A L'OCCASION de l'inauguration d'une exposition à la Cité des sciences, à Paris (voir encadré), l'Inserm a réactualisé son expertise collective « Cannabis : quels effets sur le comportement et la santé »*.
Le débat sur l'implication du cannabis comme facteur de schizophrénie s'est largement enrichi au cours des deux dernières années. L'étude pionnière de 1987, réalisée chez les conscrits suédois de 1969-1970, avait mis l'accent sur une aggravation du risque schizophrénique chez les 18 ans fumeurs de joints sans pathologie psychiatrique par rapport aux abstinents du même âge.
Un facteur de causalité ni nécessaire, ni suffisant.
A la fin de 2002, trois études longitudinales prospectives ont été publiées simultanément. L'enquête suédoise, étendue à
50 000 conscrits, fait apparaître « un excès significatif de schizophrénie » pour une consommation de cannabis antérieure « de 5 à 10 fois ». Dans une cohorte néerlandaise, avec suivi longitudinal de 3 ans de 4 000 personnes, l'influence du cannabis est d'autant plus forte que les sujets « présentent déjà des symptômes sévères ». Enfin, un travail néo-zélandais portant sur 700 jeunes établit clairement un lien de cause à effet. Comparés à des petits fumeurs de joints (pas plus d'une ou deux fois), ceux qui ont fumé au moins trois fois à l'âge de 18 ans ont un risque multiplié par quatre d'avoir des symptômes schizophréniques à 26 ans. Cette probabilité est plus grande en cas de consommation précoce, vers 15 ans. Ainsi, commente l'Inserm, le cannabis se révèle être « l'un des très nombreux facteurs de causalité, ni nécessaire, ni suffisant, qui conduisent à la survenue de la schizophrénie. Au regard des études, toutes les personnes exposées (au produit, ndlr) ne deviendront pas schizophrènes. Au-delà des paramètres liés à l'âge ou au niveau de consommation, il pourrait exister d'autres facteurs de variabilité interindividuelle de réponse au cannabis, par exemple des éléments génétiques et notamment certains variants du récepteur au cannabis de type 1, comme l'a montré une étude française ». Des recherches ultérieures devraient préciser les critères de définition et les modalités des troubles, en particulier l'âge et l'étendue de la consommation, afin de mieux comprendre sur quoi repose la vulnérabilité individuelle.
Pour ce qui est des mécanismes biologiques en cause, une première piste s'oriente vers l'étude d'éventuelles interférences entre maturation cérébrale au cours de l'adolescence et action du produit cannabique sur le système endocannabinoïde. Une deuxième piste s'intéresse aux interactions entre le système endocannabinoïde et dopaminergique.
L'Inserm qualifie le risque de schizophrénie lié à la consommation de cannabis de « relatif et modéré (multiplié par 2) ». Néanmoins, compte tenu de la banalisation du produit chez les adolescents, le lien entre schizophrénie et cannabis « demeure une question majeure de santé publique ».
La théorie de l'escalade non vérifiée.
De plausibles effets somatiques (troubles cardio-vasculaires, cancers) sont à prendre en compte, mais les chercheurs ont besoin d'études épidémiologiques avant de tirer des conclusions, insiste l'Institut de recherche. « Il serait réducteur, sans une analyse précise des consommations de cannabis et de tabac, du comportement alimentaire et des courbes de poids, d'estimer que les effets orexigènes du tétrahydrocannabinol ne se manifestent pas en raison des conséquences anorexigènes du tabagisme associé », affirment notamment les experts.
Quant à la théorie de l'escalade, d'après laquelle le fait de fumer des joints entraînerait un risque accru d'usage ultérieur d'autres drogues, elle n'est pas confirmée à ce jour. En France, aucune donnée disponible ne montre une progression de la consommation d'héroïne. La question mérite néanmoins « une attention particulière », avec l'utilisation de modèles animaux qui « semble être l'approche la plus appropriée ». On sait que « les cannabinoïdes sont capables d'induire la rechute d'un comportement d'auto-administration d'amphétamines, de morphine et d'éthanol chez des animaux préalablement dépendants à ces produits, mais il ne s'agit pas d'un effet spécifique sur les opioïdes ». Seules des études prospectives épidémiologiques ou cliniques chez l'homme pourront établir « la chronologie d'apparition des dépendances selon la séquence tabac-alcool-cannabis-cocaïne/opioïdes ».
L'année dernière, 21 % des garçons et 10,8 % des filles de 16-17 ans ont consommé du cannabis à 10 reprises au cours de l'année, contre 7 % et 3,6 % en 1993.
* www.inserm.fr .
Une exposition à la Cité des sciences
La Cité des sciences et de l'industrie à Paris consacre jusqu'au 10 octobre une exposition au « cannabis sous l'œil des scientifiques ». Conçue par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie et l'Inserm, elle a pour but de présenter « avec rigueur et impartialité, sans tabou ni préjugé, ce que l'on sait, ce que l'on suppose et ce que l'on ignore à propos de ce stupéfiant ». Installée dans l'Espace cité sciences, elle organise la visite autour de panneaux, de textes, d'images, d'infographie, de films, d'entretiens d'experts et d'un questionnaire multimédia.
Parallèlement, la cité présente jusqu'au 27 juin (Cyber-base, Cité de la santé) une exposition d'affiches intitulée « Drogues : plaisirs, risques, dépendances ». Les affiches sont issues d'un concours organisé pour les étudiants par le Festival international de l'affiche et des arts graphiques de Chaumont et le Crips (prévention du sida) d'Ile-de-France.
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