Une mise en garde vis-à-vis des laits maternisés à base de soja, chez les enfants, achève un travail expérimental publié dans les « Proceedings » de l'Académie des sciences américaines. Cet avertissement répond à une tendance actuelle aux Etats-Unis. Apparemment, 25 % des enfants, en allaitement artificiel, en bénéficient, soit quelque 15 % des nourrissons.
Srikanth Yellayi et coll. (université de l'Illinois) ne se sont pas intéressés à l'action estrogénique des phytoestrogènes du soja, dont les effets sur les organes reproducteurs ont été déjà étudiés. Ils se sont penchés sur l'activité de l'une des deux isoflavones du soja, le genistein (l'autre étant le daidzein) sur le thymus. Leur travail, mené chez la souris, a montré un effet délétère de cette substance sur le thymus. Si un tel mécanisme était rencontré chez l'humain, la fonction immunitaire des enfants pourrait s'en trouver altérée.
Perte de poids du thymus
Les chercheurs ont injecté, par voie sous-cutanée, du genistein à des souris adultes ovariectomisées. Ils ont relevé, en réponse, une perte de poids du thymus, dose dépendante, allant jusqu'à 80 %. Cet effet survient par l'intermédiaire de mécanismes médiés par les récepteurs aux estrogènes (ER) ainsi que par d'autres mécanismes indépendants de ces récepteurs. L'isoflavone provoque une diminution du nombre de thymocytes jusqu'à 86 % et un doublement du nombre d'apoptoses. La seconde conséquence pouvant expliquer la première. Le genistein est responsable de la perte d'un pourcentage relativement élevé de cellules thymiques CD4 + CD8 - et de thymocytes CD4 + CD8 +. Cette atteinte suggère que ce phytoestrogène de soja peut altérer la maturation précoce des thymocytes et celle de la lignée de cellules CD4 + CD8 - T helper. De plus, le déclin relatif des thymocytes CD4 + CD8 - s'accompagne d'une diminution du taux relatif de cellules CD4 + CD8 - spléniques et d'une lymphocytopénie systémique. Enfin, le genistein entraîne une suppression de l'immunité humorale.
Voici rapportées succinctement les données animales du travail américain. La suspicion des auteurs vis-à-vis de cet isoflavone naît du rapprochement entre les doses injectées aux souris et celles effectivement ingérées par les bébés humains, dans leur biberon. Les rongeurs ont reçu 8 mg/kg/j de genistein donnant un taux sérique comparable à celui d'enfants recevant une alimentation à base de soja.
Taux supérieurs à ceux d'adultes
En consommant des laits à base de soja, les enfants sont exposés à des doses élevées des deux isoflavones estrogéniques. En moyenne, les nourrissons, ainsi allaités, en reçoivent entre 6 et 11,9 mg/kg/j, c'est-à-dire des taux supérieurs à ceux d'adultes au régime alimentaire à base de soja. Les taux plasmatiques totaux d'isoflavones et de genistein, chez ces bébés, se situent respectivement entre 2 et 6,6 μmol/l et entre 1,5 et 4,4 μmol/l. Soit dix fois supérieurs à ceux des Japonais adultes, se nourrissant historiquement de soja, et deux cents fois plus élevés que ceux d'un enfant nourri au sein ou au lait de vache.
Même si le développement des cellules T est similaire chez l'homme et la souris, l'extrapolation à l'humain requiert une certaine prudence. Des interrogations doivent encore être posées au modèle animal. Elles concernent les niveaux des formes aglycones et conjuguées du genistein chez la souris, par rapport à l'enfant, dont le niveau relatif risque d'être encore plus élevé.
En conclusion, les auteurs suggèrent que « l'utilisation de lait à base de soja chez le nourrisson et la consommation élevée de soja ou d'isoflavone par l'adulte, au travers de suppléments, doivent être envisagées avec précaution ».
« Proceedings of the National Academy of Sciences », 28 mai 2002, vol. 99, n° 11, pp. 7616-7621.
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