80° réunion annuelle de la Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique
Congrès SOFCOT à Paris
du 7 au 11 novembre 2005
SI L'ON MESURE le chemin considérable déjà parcouru, ces trois dernières décennies, en matière d'infections nosocomiales, on ne peut qu'être favorablement impressionné. En revanche, lorsque l'on se trouve confronté à certaines situations individuelles, ou à des problématiques spécifiques au sein de ce large débat (étiopathogénie, responsabilité médico-légale, sémantique de définition...), on peut se retrouver extrêmement frustré par le degré d'inachèvement de ce chantier conceptuel. Le démembrement même du cadre nosologique de cette entité n'a pas, à de nombreux égards, encore atteint un niveau de consensus, ni universel ni permanent. Le débat, bien qu'étonnamment éclairci, laisse donc persister des zones d'ombre que la recherche clinique et épidémiologique des prochaines années devrait réduire à leur plus simple expression.
Des certitudes et des ambiguïtés.
Lorsque l'on explore de façon systématique et synthétique la thématique de l'infection nosocomiale, on se rend vite compte, dès le stade de la définition, que l'on se trouve en présence, tout à la fois, d'un socle stable de notions confirmées, et d'un marécage de concepts moins bien tranchés. Le praticien (dans chaque situation à laquelle il se trouve confronté) devra constamment évaluer la part respective des données certaines de celles qui le sont moins. Ce n'est pas parce que les infections nosocomiales ont été largement médiatisées qu'il faut accorder un tel logo à tout incident infectieux survenant lors d'un quelconque parcours de soins. A l'inverse, ce n'est pas parce qu'elles sont redoutées et redoutables que le clinicien est en droit de les occulter en adoptant la politique de l'autruche à leur égard.
Le diagnostic, l'approche analytique et la prise en charge de l'infection nosocomiale doivent rester équilibrés, le plus neutres possible, et le plus dénués possible de contenu émotionnel de la part du praticien, s'il veut efficacement contrôler ce risque inhérent à n'importe quelle démarche de soins, au mieux des intérêts du patient.
Des chiffres débattus.
Malgré des efforts méritoires de recensement systématique, et peut-être également en raison de difficultés de définition spécifique, la fréquence de l'infection nosocomiale n'est pas parfaitement cernée. Selon certaines enquêtes nationales, de 5 à 10 % des personnes hospitalisées, acquerraient, tous diagnostics confondus, une infection nosocomiale. D'où la forte motivation des spécialités médico-chirurgicales à mieux analyser cette problématique, ne serait-ce que pour des raisons médico-légales. Il s'agit en effet d'une source abondante de conflits juridiques entre patients et soignants. Au sein de la chirurgie orthopédique, environ un quart de la sinistralité en responsabilité professionnelle est liée à l'infection nosocomiale.
Pour le chirurgien, plus particulièrement orthopédiste, l'expression la plus interpellante d'infection nosocomiale est l'infection du site opératoire (ISO).L'incidence de l'ISO varie de 0 à 5 % en chirurgie orthopédique programmée et de 0 à 40 % en chirurgie orthopédique traumatologique.
Une sémantique controversée.
Si, d'après le dictionnaire, la définition de l'infection paraît limpide et univoque, la réalité clinique ne l'est pas. Certes, des signes évidents, tels qu'inflammation locale, abcès,
écoulement fistulaire, ne laissent aucune place au doute. Mais la plupart du temps, dans nos régions, l'expression symptomatique est beaucoup moins bruyante : quelques douleurs au niveau d'une prothèse, descellement précoce inexpliqué.
Afin de pouvoir analyser avec rigueur l'épidémiologie de l'ISO, il a fallu adopter une définition univoque. Celle préconisée par le CDC d'Atlanta a le mérite d'une relative simplicité. Selon cette institution de référence aux Etats-Unis, la présence d'un des quatre critères suivants est pathognomonique d'une ISO :
- présence de pus ;
- isolement d'un germe au niveau du site ;
- signes évidents d'infection au niveau de ce site ;
- conviction diagnostique clinique sur un faisceau d'arguments et l'expérience de l'opérateur, de la présence d'une infection.
De tels critères peuvent paraître simples, mais n'éliminent pas une certaine dose de subjectivité :
- un écoulement peut être qualifié de séreux, de douteux ou de purulent selon l'observateur interrogé ;
- l'isolement d'un germe est parfois dépendante, du point de vue de sa fiabilité, de la technique de prélèvement ;
- les signes cliniques « évidents » peuvent parfois varier d'un observateur à un autre ;
- la conviction diagnostique de l'opérateur peut être quelquefois biaisée, malgré son expérience.
Pour éliminer cette part de subjectivité dans la démarche clinique, certaines équipes ont voulu ajouter des critères supplémentaires et l'établissement de scores numérisés pour caractériser positivement l'ISO. Cela complique en fait cette étape d'identification.
Au final, le diagnostic d'ISO reste difficile, susceptible de variabilité d'un centre à un autre, susceptible également d'un défaut de reproductibilité d'un médecin à un autre, d'où la persistance d'un espace incontrôlable d'arguties juridiques en cas de sinistre litigieux.
Un concept large.
Lorsque l'on se polarise moins sur le site opératoire, on est conduit à élargir le concept d'infection nosocomiale, au prix cependant de certaines restrictions exigeantes de la définition de base (infection contractée lors d'un séjour hospitalier) :
- infection inexistante lors de l'admission ;
- infection s'étant déclarée au moins quarante-huit heures après l'admission du patient et au plus trente jours après celle-ci (ce délai étant conventionnellement porté à un an en cas de présence d'un implant).
Malgré ces exigences dans la définition, la certitude de la nosocomialité n'est pas évidente, lorsque l'on sait, par exemple, qu'une bactériémie abondante, bien que banale, est susceptible de survenir lors d'un simple brossage de dents.
Le calendrier inhérent à la définition reste lui-même arbitraire, et a valeur, au mieux, de présomption épidémiologique plutôt que de certitude scientifique médicale.
Il en résulte une impossibilité d'imposer, en France, une définition juridique de l'infection nosocomiale et, donc, la nécessité pour les tribunaux d'évaluer chaque situation individuellement.
C'est également pourquoi a dû être introduite une entité moins restrictive, pudiquement baptisée infection nosocomiale liée aux soins.
Un recensement sévère.
Malgré les difficultés déjà relevées dans la validation de leur définition et de leur étiopathogénie, les infections nosocomiales sont soumises à une obligation déclarative réglementaire à visée de recensement. Un tel recensement ne peut apporter d'éclairage épidémiologique que s'il est continu, exhaustif et fiable. Ces trois critères analytiques sont, en pratique, difficiles à satisfaire (compte tenu des réserves de définition précédemment évoquées) et très dispendieux de ressources (peu disponibles) et ce quel que soit l'angle d'évaluation ou de surveillance sélectionné : incidence ou prévalence.
Les revirements du législateur.
Dans un souci louable d'équité envers les victimes d'infection nosocomiale, le législateur a dû, dans ce domaine litigieux, recourir à des subterfuges peu orthodoxes.
Par exemple, l'un des principes fondateurs de l'indemnisation du dommage corporel, a ainsi été battu en brèche : il s'agit de la notion de causalité (indissociable de l'élément de certitude, alors que, en matière d'infection nosocomiale, ce terme est loin d'être toujours acquis comme déjà expliqué).
D'autre part, plutôt qu'impliquer (comme par exemple aux Etats-Unis) le patient dans la source éventuelles des responsabilités de certaines infections nosocomiales, le législateur a préféré, au gré de l'évolution jurisprudentielle, mettre en cause successivement d'autres acteurs ; cela s'est fait au fil de décisions qui ont fini par donner au cadre législatif des infections nosocomiales la physionomie qu'il revêt actuellement.
Ainsi le distinguo qu'imposait la juridiction administrative (dont relève l'hôpital public) de la juridiction civile (dont relèvent les établissements privés) a fini, en matière d'infection nosocomiale, par s'estomper en 2002. Auparavant, en tout cas, en juridiction civile, jusqu'en mai 1996, la victime de l'infection nosocomiale avait la charge de la preuve d'une faute commise par le praticien ou l'établissement. Après mai 1996, c'était l'établissement qui était présumé responsable de fait, à moins de venir prouver l'absence de faute de sa part. Après fin juin 1999 s'est produit un alourdissement des responsabilités de l'établissement et du praticien pour lesquels l'absence prouvée de faute n'était plus exonérante. La seule échappatoire, pour ces acteurs du système de soins, restait alors l'apport de la preuve d'une cause étrangère.
En mars 2002 (loi Kouchner), les établissements devinrent directement responsables de l'infection nosocomiale, sauf à apporter la preuve d'une cause étrangère.
Les assureurs refusèrent, dans un tel contexte législatif, d'assurer les établissements. Pour inciter ces mêmes assureurs à poursuivre leur couverture fut mis en place en décembre 2002 un dispositif plafonnant ce risque, à la fois pour les établissement et leurs assureurs, en le transférant (au-delà d'un seuil d'IPP séquellaire de 24 %) sur une structure à la charge de la collectivité, l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux).
Au terme d'un tel parcours sinueux d'évolution législative, on peut ainsi schématiser la législation actuelle :
- infection liée à une cause étrangère (responsabilité ni du praticien ni de l'établissement), indemnisation possible par l'Oniam uniquement en cas d'IPP strictement supérieure à 24 %, ou en cas d'ITT supérieure à six mois, ou en cas d'inaptitude professionnelle définitive ;
- infection non liée à une cause étrangère ;
- c'est le niveau d'IPP séquellaire qui détermine la répartition des responsabilités ;
- au-dessous du fameux seuil de 24 % : responsabilité de l'établissement, mais non du praticien, sauf faute établie de sa part ; et, donc, indemnisation par l'assureur de l'établissement ;
- seuil supérieur à 24 % : responsabilité ni de l'établissement ni du praticien (sauf faute avérée de l'un de ces acteurs) ; indemnisation par l'Oniam, avec recours éventuel possible de cet organisme à l'encontre de l'établissement ou du praticien en cas de faute avérée.
En pratique, l'état législatif actuel n'a que partiellement réglé l'objectif avoué d'allégement des charges des assureurs des établissements, du fait du caractère plutôt restrictif des modalités d'évaluation des responsabilités respectives.
Une prévention intelligente.
Malgré tous les efforts du législateur pour rendre amiable et équitable la résolution de la victimologie infectieuse nosocomiale (sans nécessairement l'escamoter comme dans d'autres pays), on ne peut, bien entendu, satisfaire tous les intervenants ; mieux vaut alors tenter d'agir en amont, c'est-à-dire au niveau de la prévention.
Le premier écueil à surmonter est d'éviter de sombrer dans le piège du « principe de précaution » universalisé, c'est-à-dire de croire que des mesures préventives de coût prohibitif auront raison des risques confirmés et des risques inconnus car non identifiés.
La démarche préventive réclame d'être rationnelle afin d'optimiser le rapport coût-efficacité-bénéfice des actions engagées.
Les mesures préventives introduites au fil de l'expérience nécessitent d'être validées par des études rigoureuses avant d'en imposer l'usage consensuel (antibiothérapie prophylactique, dépistage préopératoire des patients à risque, préparation préopératoire et peropératoire des patients...) ou, au contraire, d'en laisser l'usage optionnel en fonction des convictions individuelles (salles d'intervention à flux laminaires, usage de ciment aux antibiotiques..) ; ces dernières dispositions ne peuvent être ni recommandées ni condamnées dans leur usage,
dans la mesure où la confirmation scientifique de leur efficacité préventive n'est pas établie.
La réglementation nécessitera donc d'être adaptée à une telle absence de certitudes et de prendre en compte plutôt les pratiques recommandées par les sociétés savantes.
D'après une conférence d'enseignement de la Sofcot du Pr J. Y. Jenny, Illkirch
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